ROBERTO ALAGNA et ALEKSANDRA KURZAK dans OTELLO au STAATSOPER de Vienne, 2018

A l’Opéra de Vienne les 12, 15 et 22 mars 2018, Roberto Alagna chante Otello pour la deuxième fois, après Orange en 2014. Pour Aleksandra Kurzak,  Desdémone, c’est une prise de rôle.

Il y a cinq jours de répétitions.

Elles commencent le lundi 5 mars 2018, premier jour d’un exploit qui va durer trois mois. Roberto Alagna va incarner successivement Otello, Calaf et Samson, pour la première fois. Il a déjà accompli un exploit de cet ordre en janvier, février, mars 2016 au Metropolitan. En 2016, pour remplacer un ténor malade, il a appris en dix jours le rôle du chevalier des Grieux de Manon Lescaut, de Puccini (Khristine Opolais étant Manon). Il avait commencé de chanter Paillasse et, après Manon Lescaut, il a continué avec Madama Butterfly. Il a sauvé la saison, mais les trois spectacles à la suite, étaient un imprévu alors qu’à Vienne, aucune surprise. Il sait ce qu’il va affronter. Trois rôles lourds d’une difficulté exceptionnelle.

 

Cinq jours de répétitions

 

Jour 1.

Le lundi 5 mars, studio Orgelsaal, 6ème étage.
Répétitions de 11 h à 14 h et de 18 h à 21 h. En entrant, le mur de gauche, derrière l’estrade centrale, est couvert par un rideau de velours chamois, celui du fond par l’orgue qui donne son nom à la salle. En face de l’entrée, le piano, les pupitres, des chaises. Autour de Roberto Alagna et d’Aleksandra Kurzak, qui débute dans le rôle de Desdémone, c’est le premier contact entre le chef, Jenkis Graeme, le metteur en scène suppléant (c’est une production de Christine Mielitz, qui a déjà été jouée par d’autres interprètes), et les solistes.

Jour 2.
Le mardi 6 mars.

Même studio, mêmes horaires que la veille.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jour 3.

Le mercredi 7 mars.

Même studio, mêmes horaires, à une demi-heure près, un ou plusieurs solistes pouvant être convoqués un peu plus tard que les autres. Ainsi, lorsqu’ Aleksandra Kurzak répète la chanson du Saule et l’Ave Maria, elle n’a besoin avec elle que d’Emilia.

 

 

 

Jour 4.
Le huit mars, deux italiennes.

Mêmes horaires. Le matin, dans un autre studio, le E. Waechter PB, italienne avec orchestre et les chœurs d’enfants.
D’un côté de la salle, une estrade pour les solistes. A leurs pieds, l’orchestre. En face, le chef et, derrière lui, une encoche dans le mur permet aux jeunes chanteurs du chœur de prendre place.
Si le saut de sixte du Esultate n’est pas la pire difficulté d’Otello, c’est le premier mot lancé par le ténor après le vacarme du tutti d’un orchestre tempétueux de tous les flamboiements d’un Verdi possédé par l’orage des notes. À ces déchainements orchestraux répond la puissance solaire de Roberto Alagna. On sait que Verdi a créé pour Otello un rôle de tenore spinto très lourd et difficile. Après les aigus rayonnants de l’Esultate, le Maure devient élégiaque d’amour dans cette nuit qui l’exalte jusqu’au « paradiso », puis, méfiant, inquiet, inquiétant, torturé, maltraitant, fou enfin, et assassin qui ne conçoit pas comment celle  qu’il a étranglée peut-être « morta! morta! », et suicidé qui, avant de réclamer encore une fois trois baisers, se souvient avec désespoir de ce que fut sa gloire « Oh! Gloria ! Otello fu ». L’orchestre reprend alors pour la troisième fois le thème musical du baiser, ce Mi majeur si doux et déchirant, qui escortait les moments de tendresse et d’abandon et qui paraphe l’instant de la mort.
Roberto Alagna explore tous ces registres, atteint les paroxysmes de l’aigu et du grave et couvre l’étendue des médiums. Sa voix grimpe jusqu’au vertige et plonge dans l’abime Dans l’appel au paradis du premier duo comme dans la plus sombre fureur des cris de « Morte e dannazione » et les appels furieux dans le fracas de l’orchestre au « Dio vendicator » de l’Ancien Testament, sa voix déploie les éclats de cuivre doré qui font sa beauté.

 

À ses côtés à la scène comme à la ville, Aleksandra Kurzak chante sa première Desdémone.

Le rôle nécessite la même étendue de voix que celle du ténor et réclame à Desdémone autant de limpidité et d’innocence que de complexité à l’âme pour Otello. Elle est l’ange en face de Iago, le démon. Elle trop innocente pour comprendre de quoi elle est accusée par un mari qui descend en enfer sous ses yeux, mais dont elle refuse de croire que c’est lui qui la maltraite, lui qu’elle aime et qui l’aime, lui qui est possédée, elle le sait, elle le dit, ce n’est pas lui, ce ne peut pas être lui, c’est une « furia » qui parle en lui, lui : « Egli era nato per la sua gloria, Io per amar… » Jusqu’à la mort, elle l’affirme. Sa pureté, son combat contre le mal, sa volonté de faire éclater la vérité, son désir de vivre, se manifestent par la virtuosité dans les aigus, la souplesse, l’aisance et la force dans les médiums. Aleksandra Kurzak possède toutes ces qualités et donne à sa Desdémone l’innocence d’une enfant en face d’une monstrueuse injustice. Aussi bonne actrice que chanteuse, Aleksandra montre une Desdémone qui lutte pour la vérité, la vie, l’amour, mais ignore à quel point elle est désarmée, parce que ce n’est pas contre Otello, c’est contre Satan qu’elle combat. On regrette que Boito ait enlevé des lèvres d’Otello la phrase de Shakespeare : « you are my fair warrior » (Mio superbo guerrier !) pour la faire dire à Desdémone. La sincérité d’Aleksandra Kurzak fait passer ce regret.

L’après-midi, italienne à l’Orgelsaal, avec piano.

 

 

 

Avec le baryton slovaque Dalibor Jenis, Iago :

 

 

 

 

 

 

 

Maquillage démaquillage

Jour 5.

Le 9 mars, générale fermée, en costumes, avec piano, à l’auditorium.

Roberto Alagna vient une heure en avance, le temps nécessaire pour le maquiller. Comme à Orange. Il fallait une heure aussi.

Il est d’accord pour qu’on mette ses cheveux dans l’espèce de moule à gaufres.

Il est d’accord pour tout quand il s’agit d’un rôle. Il a coupé ses cheveux pour La Juive. Il les laisse pousser pour Samson et Dalila. Au dernier acte, il n’aura pas besoin de perruque, ses cheveux auront la bonne longueur.
Pour Otello, il porte une demi perruque, accrochée derrière la tête, très longue.

Le jour de la première, Dominique Meyer, directeur du Staatsoper, pendant le maquillage.

 

 

Ci-dessous, démaquillage d’Otello, on a commencé de lui retirer les faux cheveux.

 

Répétition en costumes

 

 

 

 

 

 

 

Trois jours plus tard, c’est la première publique, le 12 mars 2018.

 

 

À l’issue du spectacle, dans les coulisses, Dominique Meyer, directeur du Staatsoper, déclare que c’est le plus bel Otello qu’il ait jamais entendu. Les ovations de la salle ont montré que le public partageait cet avis.

Face à cet Otello, colosse de puissance vocale et physique, dans lequel monte la folie, Desdémone étreint le cœur par la grâce de ses attitudes et le frémissement de sa voix, qui, du chuchotement à l’imploration, s’élève dans une prière si émouvante qu’Otello cèderait à l’amour s’il n’avait perdu la raison dans le tenailles d’une infernale machination.

 

 

 

 

 

 

 

 

Au-delà du maquillage et des lumières, son visage se métamorphose. Ce qu’il rendait déjà évident à Orange, au point qu’il est écrit dans les « Quatre Saisons » qu’il faisait mourir Otello comme meurt Roméo, est encore plus manifeste à Vienne.

Iago, le baryton slovaque, Dalibor Jenis, joue le jeu de l’amitié avec une perversité et une sensualité qui donne aux duos avec Otello quelque chose de si ardent qu’on pense à la véritable amitié de don Carlo avec Rodrigue, ce qui rend crédible la facilité avec laquelle Otello se laisse détruire.

 

Visages d’un tragédien

La salle est frappée par le même étonnement que Desdémone devant le visage du Maure, d’abord classique en dépit du grimage…

qui devient déchirant et pour finir, si étrange et halluciné qu’il échappe aux mots qui tentent de le cerner tandis que la voix, inlassable merveille, continue  jusqu’au dernier baiser.

La première Desdémone d’Aleksandra Kurzak confirme une fois encore à quel point elle est chanteuse et tragédienne à la fois et combien son chant et son jeu s’allient avec une harmonie remarquable à ce que donne Roberto Alagna. dans ce somptueux qui exalte son génie de ténor et de tragédien unique.

 

 

 

 

 

© texte et photos Jacqueline Dauxois

 

 

2 réflexions sur “ROBERTO ALAGNA et ALEKSANDRA KURZAK dans OTELLO au STAATSOPER de Vienne, 2018

  1. Je redis ici que Mme Dauxois entretient l’impatience d’aller entendre et voir R. Alagna chanter Samson et Dalila avec une chevelure aussi extravagante que celle d’Otello…

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