Roberto Alagna et Elīna Garanča dans Samson et Dalila à l’Opéra de Vienne et au Metropolitan de New York

Samson et Dalila
de Vienne, mai 2018,
à New York, septembre/octobre 2018

Photos ci-dessus : montages pour le Samson de Vienne et pour celui du Met.

Les chanteurs

Il n’existe qu’un point commun entre les deux mises en scène de Samson et Dalila données à cinq mois d’intervalle à l’Opéra de Vienne (mise en scène : Aleksandra Liedtke, chef d’orchestre : Marco Armiliati) et au Metropolitan Opera de New York (mise en scène : Darko Tresnjak, chef d’orchestre : sir Mark Elder) dans deux nouvelles productions. Chacune va au bout de son projet dans des directions si radicalement opposées qu’on se demande par quel miracle (on connaît ce miracle : dons innés et travail d’arrache-pied), dans les deux cas, Roberto Alagna et Elīna Garanča sont à ce point lui Samson, elle Dalila et quelle osmose les lie sur scène l’un à l’autre pour donner de cette histoire, l’une des plus extraordinaires pour ne pas dire extravagantes que l’Ancien Testament nous ait léguées, une lecture allant de soi. À Vienne comme à New York, tout semble couler de source à travers leur chant, leur jeu, la grâce de leurs gestes, leur beauté et celle de leurs voix. L’histoire semble évidente, facile à comprendre.

Photos ci-dessous : Vienne.

Ci-dessous : au Met.

Facile ? pour une femme de retourner un amant qui veut se vouer à son Dieu et en faire un esclave à son usage exclusif destiné ?
Facile ? pour un  prisonnier, qu’on a privé de sa force en lui coupant les cheveux, et à qui on a crevé les yeux, de faire écrouler un temple d’idolâtres sans autre armes que ses mains nues et sa prière ?
En regardant, en écoutant Roberto Alagna et Elīna Garanča, on y croirait à cette facilité, alors que ces deux mises en scène racontent deux histoires  différentes.
Intime histoire, personnelle, secrète presque, et mystérieuse au bord du beau Danube ; flamboyant récit de cape et d’épée sur les rives de l’Hudson. D’une mise en scène à l’autre, Samson et Dalila sont le seul ancrage, la seule cohérence d’une histoire, vieille de trois millénaires, que Saint-Saëns et Lemaire ont amarrée au dix-neuvième siècle, créant une passion si violente et tourmentée qu’elle emporte les deux protagonistes dans les sommets où resplendissent les couples légendaires qui hantent notre imaginaire peuplé de Tristans, Guenièvres, Lancelots, Iseults, Mélisandes, Roméos…

Photo ci-dessous: à Vienne.

                            Photo ci-dessous, au Met.

Les chanteurs sont passés d’une mise en scène décalée dans le temps et hors du temps, âpre, sans décor, sans couleurs, refusant toute idée de reconstitution, une épure, une eau forte où l’acide ronge tout le superflu pour montrer la chair à vif et l’âme nue d’un Samson et d’une Dalila intemporels sans aucune référence aux trois millénaires écoulés depuis les temps bibliques où ils vécurent. C’était à Vienne, la sobriété jusqu’au dépouillement, un décor voué au noir et blanc pendant les trois actes, une danse des prêtresses de Dagon et une bacchanale  presque désincarnées, en noir et blanc toujours, avec, magnifique coup de pinceau, une touche de rouge sur les bottes lacées des danseuses. Une Dalila vêtue de robes longues hors du temps, magnifiquement structurées. Pendant le duo qui se déroule dans une pièce bleue, suspendue dans le vide obscur, elle porte une longue robe bleue qui évoque Iseult (on trouve sa robe sur un personnage d’un tableau du Belvédère dans la pièce des Klint ou celle qui précède). Samson est habillé de chemises ouvertes en V, anthracite ou blanches, pantalons moutarde, souliers jaunes. Pas de décor, du noir, des praticables plus ou moins élevés pour présenter les personnages comme on montre un tableau, des personnages dont la beauté est exaltée (ci-dessous, dans le duo du deuxième acte).

Au troisième acte, la vue de Samson provoque un choc.

Ci-dessous au Staasoper de Vienne

Il est tout seul en scène, pas un accessoire, pas un décor, seul, debout dans l’obscurité dans un débardeur crasseux et un pantalon effondré de SDF.

Pendant la bacchanale, contrairement à la tradition, tout le temps présent, il montre l’horreur de l’aveuglement du corps et de l’âme, l’effroi du péché et l’espoir du pardon comme on ne les a jamais vus. Il bouleverse les idées attendues, projette le spectateur dans un vide qui rend palpable son intolérable souffrance et inéluctable la suite : la mort résurrection, qui devient alors inévitable, non plus perçue comme un coup de théâtre providentiel, mais comme la suite fatale de cette torture, d’un martyre qui est une prière, – exact prolongement de la prière qu’il adressait à Dalila chaque fois qu’il  criait à Dalila : « je t’aime » et elle restait sourde -, prière tournée vers Dieu, cette fois, prière qui ne pouvait qu’être exaucée, cela se sentait au fond de l’être, si profonde était la communion avec cet infirme titubant qui vous venait empoigner le cœur et qui vous tordait l’âme.

Photos ci-dessous : Acte III au Staatsoper de Vienne

Photos ci-dessous : Acte III au Metropolitan de New York:

Escaliers, décors et accessoires

Au contraire de Vienne, décors et costumes au Met sont omniprésents. Premier acte, un grand escalier central évoque les classiques de Broadway, les entrées vont se passer là-haut , la première apparition de Samson, celle des prêtresses de Dagon qui viennent y danser avec plumets rouges, pompons, voiles virevoltants, celle de Dalila. Lorsqu’elle s’en va, sa traîne, qui se déploie interminablement, recouvre toute la longueur de l’escalier (« l’ai-je bien remonté ? » pourrait-elle demander, parodiant Cécile Sorel).

Au deuxième acte, même principe de l’escalier, mais il est de biais. Il part du milieu de la scène en haut et descend le long du mur du fond, côté cour. Au sommet, vont apparaître successivement le grand-prêtre, pour la scène charnière décisive où Dalila, pour la première fois, réclame la mort de Samson et Samson lui-même, pour le duo où, venu pour la quitter, ensorcelé par le « Mon cœur s’ouvre à ta voix », il se livre. L’entrée étant formée par une ouverture ronde, les apparitions là-haut sont très spectaculaires , et les éclairages, très soignés tout le long des trois actes, font le bonheur des photographes.

Ci-dessous : entrée de Samson à l’acte II.

Le décor du troisième acte, gigantesque torse de l’idole Dagon doré, fendu en deux pour former un passage, occupe toute la hauteur de la scène et déclenche les applaudissements au lever du rideau.

Ci-dessous : au Met, décor de l’Acte III.

Personne ne se demande pourquoi Dagon est tranché comme d’un coup de couteau dans le beurre avant que Dieu n’ait exaucé Samson ; au contraire, on se réjouit : aucun élément de décor ne risque de tomber sur le ténor comme cela s’était produit pour Caruso. La bacchanale, déclenche elle aussi des applaudissements nourris. Traditionnellement, Samson n’est pas là pendant la bacchanale.
Sa présence, à Vienne, à ce moment, si elle était inattendue, était essentielle, l’une des clés du mystère moderne en train de se célébrer.

Samson, au Met, porte une tunique  dont le drapé évoque vaguement la Grèce ou la Rome antique. Le pantalon, drapé aussi, est enfoncé dans des bottes. Couleurs gris, gris perle. Dalila est couverte de dorures et pendeloques, plus cliquetantes que chez Cecil B.deMille, mais Elīna Garanča donne de l’élégance à tout ce qu’on lui met sur le dos, jusqu’à sa perruque rousse. Pourquoi pas noire, au fait, pour suivre le livret ?

Ci-dessous : Dalila au Met.

Ci-dessous : Samson au Met.

Conclusion

On a donc assisté à Vienne à une production contestée, intellectuelle, intemporelle, désincarnée, centrée sur les deux personnages principaux, et qui d’une manière inattendue, réincarne les héros bibliques dans notre temps avec une force étonnante et rend Samson proche du spectateur comme il ne l’a jamais été.

Le Met présente une mise en scène traditionnelle, qui n’hésite pas devant les moyens, effets de masse, abondance d’accessoires, grands ensembles, couleurs éclatantes. Du grand spectacle  pour grand public.
Rien n’interdit d’aimer les deux.

© texte et photos Jacqueline Dauxois

Annexes :
La distribution à Vienne :

La distribution au Met :

© texte et photos Jacqueline Dauxois

Une réflexion sur “Roberto Alagna et Elīna Garanča dans Samson et Dalila à l’Opéra de Vienne et au Metropolitan de New York

  1. Malgré une mise en scène déroutante nous avions aimé le Samson de Vienne .Aimerons nous celui de NY ? Certainement …Les 2 « monstres sacrés  » que sont Garanca et Alagna sont capables de tout magnifier ,de tout sauver .

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