Roberto Alagna, deux Roméo de légende à Londres et à Orange, plus un au Metropolitan

À Nicolas Joël, in memoriam.

DEUX MISES EN SCÈNE DE NICOLAS JOËL

Ci-dessus, au ROH, en 1994.

Le 24 juillet 2020 retransmission Metcovid

Un DVD du Royal Opera House conserve la mémoire d’un triomphe  étourdissant qui valut à Roberto Alagna des acclamations triomphales, des pluies de fleurs, un Oliver Award. Ce spectacle a été suivi par celui des Chorégies d’Orange, enregistré par France 2, le 7 juillet 2002. Pour le public, c’était révélation sur révélation. La cavatine du deuxième acte déclenchait des tonnerres qui se succédaient jusqu’au final. Les spectateurs criaient de bonheur. Depuis qu’on l’attendait, le Georges Thill de notre temps, avec une prononciation moderne, il était là ! l’Alfredo Kraus avec les flammes du soleil dissipant les ombrages de la forêt viennoise, c’était lui ! Et lui, c’était ce timbre unique, à aucun autre comparable. Il comblait une attente alors !

Quand Andrea Chenier soufflait les bougies d’Alagna, 7 juin 2019 -7 juin 2020

7 JUIN 2019 – 7 JUIN 2020

C’était il y a un an, le 7 juin 2019, Andrea Chénier soufflait les bougies d’anniversaire de Roberto Alagna, cela semble à des années lumières.
Aujourd’hui, comme tous ceux qui ont été happés par un art qui est devenu leur raison de vivre, le ténor se retrouve pire qu’enchaîné, bâillonné.

En scène.


Depuis trois mois on ne l’a pas vu, pas entendu. Il y a eu de petites distractions musicales, si ce n’est pas tout à fait rien, ce n’est pas grand chose. Mais l’art, dans sa grandeur, sa vérité et son mystère, l’art qu’on a vu culminer, il y a un an, avec Andrea Chenier, on ne l’a plus. Le manque est dramatique car nous sommes gavés de reproductions, mais c’est de l’art vivant que nous sommes privés, alors que l’année dernière, le 7 juin exactement…

C’était à Londres.
Le soir de son anniversaire, il a bouleversé l’interprétation traditionnelle et son Chénier transfiguré s’incarnait enfin tel que ne pouvait pas ne pas être le plus grand poète français de son temps, arbitrairement jeté en prison et guillotiné. Alagna a donné au chant du poète, dans sa dénonciation des crimes aveugles, sa passion d’amour, son défi à la mort, la force et la douceur qui sont sa marque. Qu’il ait connu par cœur la vie et l’œuvre de Chénier ou qu’il ait recrée le personnage de l’intérieur, il l’avait comme toujours abordé non pas en interprète mais en créateur pour en faire un flambeau de vérité.

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Retransmission, le 24 juin 2020, du « Samson et Dalila » de Roberto Alagna et Elīna Garanča, enregistrés le 20 octobre 2018

Les retransmissionsCovid du Metropolitan

Le 24 juin 2020.

En juin 2020, Orange aurait dû préparer le troisième Samson de Roberto Alagna pour le 10 juillet. Sans Elīna Garanča, mais mis en scène par Jean-Louis Grinda, ce qui permettait d’espérer le meilleur. À cause du covid-19, le spectacle est reporté à l’année prochaine. Le 24 juin 2020, le Met a retransmis le spectacle enregistré le 20 octobre 2018.

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Les doubles faux adieux du Trouvère des Chorégies en 2015

Les doubles faux adieux du second Trouvère des Chorégies, en 2015.

Retransmission Covid des Chorégies d’Orange

Il a dit qu’il faisait ses adieux à Orange avec le second Trouvère qu’il donnait aux Chorégies. Il ajoutait qu’il reviendrait si on lui proposait quelque chose d’exceptionnel.

Un second Trouvère aux Chorégies, pour lui, ce n’était rien d ‘exceptionnel. Pour le public, c’était une déception, non qu’il ne soit un Manrico idéal, mais on espérait Samson et Dalila, une prise de rôle, qui a été écarté pour des frisons commerciales. La prise de rôle a eu lieu à Vienne dans une mise en scène très attaquée, que je défend et que je préfère à d’autres

Jean-Louis Grinda n’a pas des oreilles de sourd.
Jeune et passionné, il a proposé Samson à Alagna. Le spectacle était prévu il y a un mois à peine, le 1° juillet. C’est devenu la plus tristes des habitudes, hôtel, transport et spectacle annulés. Lorsqu’on voit les entassements au cuisse à cuisse, sur les plages vautrées, dans les cafés, les restaurants, les bousculades dans les rues piétonnes et commerçantes, on se demande vraiment pourquoi. Ils ont voulu discriminer les vieux, ils discriminent la musique, la danse et le théâtre.
L’abominable Covid a tout arrêté. Il est train de nous démolir la vie. J’ai conscience de bénéficier d’un énorme privilège en rencontrant de jeunes chanteurs et, dans quelques jours, un grand violoniste, mais ceux qui n’ont pas cette chance et pas envie non plus de se consoler en faisant la cuisine ou en grillant au soleil, que deviennent-ils en ce moment?

 Samson est reporté d’un an. Et en attendant, que fait-on ?

Au dernier chapitre de Quatre Saisons avec Roberto Alagna :   « Il Trovatore, les adieux à Orange, sconto col sangue mio », j’ai parlé des « adieux » d’ Alagna à Orange après son second Trouvère aux Chorégies.

À la fin du dernier chapitre, je faisais moi aussi mes adieux.
La tristesse était partout. Je ne voulais pas rentrer. Il était parti avec ses amis. Après lui, tout le monde est parti. Je n’y arrivais pas. Je restais au bord de l’hémicycle vide. Les machinistes démontaient. L’un d’eux m’a demandé si je voulais rester. Je lui ai fait signe que oui. Allez où vous voulez, faites attention aux câbles, par terre. Le démontage du rêve a duré pendant des heures. Je suis restée sur la scène longtemps, après, je suis allée sur les gradins, dans le bruits des marteaux, j’écrivais, je n’ai rien changé, c’est la fin du livre :

« Il (Roberto Alagna) a emporté Otello, il a emporté Marico. Ils sont à lui et, ici, plus jamais… Rien, il n’y a plus rien, rien. Un livre, peut-être, oui peut-être, si un éditeur change en livre un fichier word (1).
Les pieds du dernier machino sont entrés dans le champ de la caméra imaginaire… l’homme a dit, c’est fini, on s’en va. Je me suis retournée pour la dernière fois :
« Addio ».
Les pierres m’ont envoyé le retour :

   « Ora e per sempre addio » (2).

Dehors, contre les lourdes grilles, la roulotte attendait d’être embarquée. »

L’éditeur, Le Rocher, m’avait accordé deux cahiers photos ce qui est exceptionnel. J’ai publié quatre de ce spectacle dans le livre.

(1) D’habitude, j’écris quand j’ai un projet accepté, un éditeur et un contrat. Là, j’ai inversé.
(2) (Otello, II, 5)