De Philippe Jaroussky au flamenco, musiques en été, 2018

Musiques de l’été
Musiques en images

Du Mont Bégo à la Méditerranée, il y a un pays où l’art s’incarne depuis des millénaires. En été, sur ce chemin de l’art, du sacré, de l’histoire, la musique est partout. Toutes les musiques.

 

Sur le parvis de Saint-Michel Archange

Deux rampes conduisent à la basilique Saint-Michel Archange, au sommet de la vieille ville, flanquée de son campanile qu’ici on appelle Campanin. La mise en scène architecturale commence sur la route qui domine la plage des Sablettes.

Les soirs de festival, la montée, scandée par des torches fumantes et des caisses de fleurs, révèle, à mesure qu’on s’élève jusqu’au parvis, la façade d’un pur baroque génois au pied de laquelle Pavarotti a chanté. Côté mer, deux palmiers longilignes découpent un paysage de montagnes, c’est l’Italie brodée de lumières qui se reflètent dans l’eau en dansant. Sur la parvis, les fauteuils de plastique des spectateurs dissimulent le pavement de galets aux armes des Grimaldi. Sur la droite, des gradins ajoutés cachent la façade de l’Immaculée Conception ou des Pénitents Blancs. Longtemps, des concerts y ont été donnés, déplacés au musée Jean Cocteau. C’était une fournaise et le musée est climatisé,  dommage tout de même. Ce n’est pas que le musée soit laid. Il est beau. Mais entre des beautés de nature différente différentes, des accords peuvent gripper, comme dans les mariages forcés.

 

Philippe Jaroussky

Le contre-ténor Philippe Jarousski a ouvert le soixante-neuvième Festival  de Musique de Menton avec Haëndel et la soprano Emöke Baràth.

La voix s’élève dans une sphère à l’élégance suprême.

Désincarnée et abstraite, elle semble hors de portée de l’intelligence et de la sensibilité ordinaire. On craint de rester en dehors, abandonné sur le rivage étroit et sec de l’intellect. L’instant où naît cette inquiétude est celui-là même où elle disparaît. La voix a trouvé une faille par où se faufiler. L’âme devient sa captive enchantée. L’amour se dit, la passion se révèle avec une retenue (non pas une distance) volontairement étrangère à la sensualité fusionnelle de ce que sera l’Opéra à venir.

 

Les Talens Lyriques

Avec les Talens Lyriques (l’orthographe fait hésiter, mais dans une autre langue, qui sait ?) on quitte Haendel pour Purcell (Didon et Enée) et Charpentier (Actéon). C’est cet ensemble qui a enregistré la musique du film Farinelli (1993) où la voix du castrat était reconstituée avec celles d’un contre-ténor et d’une soprano colorature.

Sous la direction de Christophe Rousset, les chanteurs : Eva Zaïcik, Ambroisine Bré, Cyril Auvity et Halvor Melien ont donné un concert où les sentiments se révèlent avec une force constamment retenue à travers le filtre de la maîtrise vocale.

 

Elisabeth Leonskaja

Elisabeth Leonskaja, seule au piano d’abord (Schumann, sonate n° 2 en Sol mineur), puis accompagnée par le quatuor à cordes Signum (Schubert, quatuor n°13 en La mineur, Rosamunde et Schumann quintette en Mi majeur) a transporté les auditeurs par la puissance et la sensibilité de son jeu.

 

Ci-dessous : Elisabeth Leonskaja avec le Quatuor Signum.

 

 

 

 

 

Les enfantines

Pendant les après-midi de cet été aussi torride que le précédent, dans les restes d’un jardin qui fut un parc  avant l’attaque massive du béton-pognon, sous des ficus géants qui jouent les baobabs, se produisent les jeunes élèves, enfants et adolescents de l’Académie de violon du Festival de Menton avec la Zahkar Bron School of Music de Zurich.
Certains, impassibles, ne révèlent rien du musicien en eux alors que d’autres d’autres vibrent de cette passion que la douleur traverse dans toute création. A soixante ans d’écart, on déchiffre déjà, sur des traits d’enfants, tout petits parfois, soudés à leur violons, l’amorce des sentiments puissants qui possèdent une Leonskaja dialoguant passionnément avec son piano.

 

Beatrice di Tenda, la surprise de l’été

De la Méditerranée au Mercantour, sur soixante kilomètres de long et trois mille mètres de dénivelé, la nature et les arts rivalisent de beauté. Aux cultures succède un paysage changeant et sauvage, sources, vallées, rivières et torrents à la violence spumescente dont les flots irisés se carambolent dans les enrochements qui s’étranglent, gigantesques galets fracassées, forêts qui alternent tout le long de la route avec des trésors de l’art génois et piémontais jusqu’au pied des dalles arides de la montagne sacrée des hommes de la préhistoire, le mont Bégo et son taureau sacré.

Après un détour jusqu’à Notre-Dame des Fontaines, la Sixtine piémontaise, la surprise de l’été vient du Musée de la Préhistoire à Tende. Une exposition provisoire consacrée à Béatrice de Tende, révèle un personnage de femme condottiere. Avec l’exposition, le musée propose plusieurs représentations de la Beatrice di Tenda de Bellini, rarement monté, chanté par la Pasta pour la première fois à La Fenice, en 1833. C’est une production de la Fabricca dei Suoni, de Venasca (Italie) de Mattia Sismonda. Le spectacle (une dizaine de musiciens, quatre solistes et deux danseurs, des costumes et des accessoires) se donne dans la salle du musée, en matinée et en soirée le samedi 11 août.

Bellini, en pleine fête paysanne dans le Mercantour !

Entre les deux représentations de ce spectacle de grande qualité, le samedi, si vous flânez en ville, dans l’unique rue en contre-bas du village, vous rencontrez l’une des chanteuse à la pâtisserie, en la quittant, elle vous invite à la rentrée à une générale à la Scala. Elle repart pour Milan dans la nuit, après le dernier spectacle.

 

Au pied de la montagne sacrée

Le lendemain, 16 août, fête de Saint-Roch (Rocco en italien, Scuola San Rocco à Venise, Rocco et ses frères de Visconti avec Delon et Girardot…), pendant que l’accordéon fait danser un groupe folklorique le long des rues tortueuses, dans la collégiale le prêtre célèbre la messe, accompagnée par l’orgue italien du facteur Serrassi, chantée en français et latin par la chorale de Sospel alignée devant les tuyaux de l’orgue, sous la direction d’une jeune femme, longs cheveux bouclés et profil d’ange. On se bousculerait à l’église à Paris si on y entendait des chants pareils au lieu des textes insanes hurlés à pleine gorge dans des micros déréglés. À la sortie, le saint, vêtu en pèlerin, montrant la blessure de sa cuisse en relevant sa robe, son chien près de lui, est transporté à dos d’homme, escorté par la fanfare, suivi par la procession folklorique. Il rejoint, sur la route en contre-bas, les bergers et les troupeaux. Il retourne à l’église après la bénédiction des moutons pendant que les moutons remontent vers le village où les touristes se bousculent du téléphone pour enregistrer cloches et bêlements.

Sur la route qui mène Castérino, les commerces s’échelonnent, boulangeries, épicerie, buraliste, le SPAR, restaurants, hôtels, la Mairie, et tout en haut, l’Office du Tourisme et le Musée des Merveilles. Tout est vide. C’est l’heure du repas. Plus un mouton. Plus un touriste. Plus de téléphone hystérique. Rien à faire que trainailler, si on n’a pas envie de s’attabler quelque part. Entre le SPAR, au bas de la route, et le Musée en haut, il y un petit bar, Chez Jacky.

Il en vient ces chants d’hommes comme ceux qu’on entend dans les îles de la Méditerranée échelonnées de la Corse jusqu’en Sicile. L’entrée étroite est bloquée par une masse d’homme. Bergers et paysans vêtus de couleurs sombres, coiffés de chapeaux noirs. Sur le côté, il y a une autre porte, bloquée aussi par ces hommes, les mêmes que dans la mise en scène de Cavalleria Rusticana au Met, sauf qu’ici ils ont un verre de pastis à la main, un vrai, servi avec la boule de verre qui sert de dosette verseuse.

Derrière le mur des dos et des chapeaux, on ne voit que des profils et des verres couleur d’opale. Mais on entend très bien. Avec le temps, cette porte se débloque, les hommes en chapeaux noirs, qui attendaient dehors, entrent peu à peu. La porte sur la route se dégage aussi. On voit le zinc devant le mur de droite, les tables devant celui de gauche et, dans l’étroit passage entre les deux, un jeune accordéoniste sur une chaise, un guitariste sur un tabouret. Ils jouent et chantent en jouant et tout chante autour d’eux. Des visages jeunes et beaux et des trognes à la Breughel. Une jeune fille l’air d’une starlette des années cinquante et un infirme en fauteuil. Un édenté. Un cou avec une boule violacée grosse comme un œuf. Des chevelures hirsutes. Des tignasses et des crans bien ordonnés. Le pastis circule sans arrêt au milieu des chants de plus en plus sauvages et ardents à mesure que le nombre des chanteurs diminue, ils vont manger, et que le nombre de ceux qui restent se stabilise. Le guitariste, Christophe, n’est pas berger, il travaille à Nice sur les bateaux, c’est le fils de Jacky, qui a donné son nom au bar. Il assure qu’il peut trouver les trouver les paroles des chants piémontais si je reviens l’année prochaine.

 

Flamenco

A Gorbio, c’est le dix-septième festival flamenco.
En point d’orgue dimanche, il paraît, un concert Verdi dans l’église du Sacré-Cœur.
La farandole des musiques d’été s’achève.

 

Et à la rentrée de septembre, le troisième Samson de Roberto Alagna

La suite, c’est en septembre au Metropolitan. Après sa prise de rôle dans Samson à Vienne, la version concert donnée au théâtre des Champs-Elysées, il reste quelques semaines avant le troisième Samson et Dalila de Roberto Alagna, en septembre, au Metropolitan.

 

 

© texte et photos Jacqueline Dauxois

 

 

 

 

 

 

 

 

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