Roberto Alagna, Aleksandra Kurzak : Le Concert de Paris, 14 juillet 2019

Ténor super star, Roberto Alagna a fait exploser l’audimat du super show de la musque classique, le soir du 14 juillet 2019 où plus de cinq cents mille personnes se pressaient sur l’esplanade du Champ-de Mars, brandissant des drapeaux tricolores et les petites lumières de leurs portables, pendant que trois millions deux cents mille spectateurs rien qu’en France suivaient le spectacle sur leur écran télé.

La question à ne pas poser serait de demander quel jour trois millions deux cents mille spectateurs acclameront l’un des soixante héros qu’il a incarnés, incarne, incarnera à l’opéra. Pourtant, un journaliste a traité de Barnum le Concert de Paris, parce que c’est le plus grand spectacle de musique classique, qu’on y entend des tubes, pas La Reine de Saba ni l’air de Lenski. Mais si on regarde le programme en focalisant sur ce que chante « notre » ténor, on découvre à quel point le choix est alagnesque. 
En quelques airs, il chante tour à tour et dans cet ordre, le drame humain le plus universel (la mort de La Mamma), la joie d’une déclaration drôle et cocasse (La Périchole), les déchirements de la plus sombre tragédie (Rachel quand du Seigneur), le sucre filé de la tendresse légère de L’heure exquise.

Pas de quoi s’étonner qu’un demi million de personnes viennent crier leur joie.

ROBERTO ALAGNA

Son premier air, c’est La Mamma, hommage à Charles Aznavour, dont il a déjà évoqué la mémoire à la Fête de la Musique d’Orange, en interprétant La Bohème. C’est sa manière de proclamer au monde entier que la Mamma si italienne est une chanson universelle, que la musique est une, que la variété peut devenir classique et le classique variété, que la frontière n’est pas où on la croit.  
Et lui, il est un déplaceur de frontières qui ne se laisse enfermer nulle part.

Sortie de scène avec Gaëlle Arquez : il danse la joie.

Ensuite, avec Gaëlle Arquez, il chante  Le muletier et la jeune personne, extrait de la Périchole d’Offenbach, qui met tout le monde en fête, lui fait un corps d’adolescent qui jubile, de gamin qui caracole oubliant qu’il porte un vêtement très élégant dans lequel un moment plus tôt il ressemblait à l’idée traditionnelle qu’on peut se faire d’un ténor – idée qu’il ne partage pas tout le temps mais tout de même de temps en temps.

Du sourire…

Au milieu du spectacle, alors que chacun croit être vraiment venu pour s’amuser, lui qu’est-ce qu’il chante ? Rachel quand du Seigneur.

Bien sûr, c’est l’air le plus célèbre de La Juive (Halèvy), mais comparé par exemple à La Fleur de Carmen, on ne dira pas qu’il est allé au plus facile, mais qu’il a voulu, comme à chacun de ses concerts, pousser le public vers une découverte.

…à la tragédie…

Avec Rachel, en un seul air, il investit Éléazar ou se laisse investir par lui, on ne sait, mais il devient Eléazar dans tout son être. On l’a quitté jeune, joyeux, gambadant, on le retrouve dans un personnage odieux et poignant qui, pour assouvir sa vengeance, sacrifie l’enfant qu’il aime et qu’il a élevée comme sa propre fille. Dans ses yeux, où le regard devient un brandon, grésille la folie meurtrière des guerres de religion.

…d’Eléazar au regard fou de parricide.

Il fallait déjà une belle audace pour montrer la mort de la Mamma dans un spectacle aussi populaire, avec Éléazar, Roberto Alagna bouleversant emporte quatre millions de spectateurs vers ce que la tragédie a de plus fort et de plus ténébreux : Et c’est moi qui te donne au bourreau ! Il n’a peur de rien, on le sait, et il prouve sa confiance dans un public à qui il donne l’essence de son art.

ALEKSANDRA KURZAK

Au début du spectacle, une soprano très attendue a précédé Alagna sur scène : Aleksandra Kurzak, sa femme. Elle a interprété le Je veux vivre de Roméo et Juliette (Gounod) avec une fraîcheur, une limpidité, un enthousiasme éclatants qui ont donné aux spectateurs l’envie de tournoyer avec sa voix.

Elle revient, avec Roberto Alagna, pour l’Heure exquise de la Veuve Joyeuse de Franz Lehar,

duo de charme, où ils se renvoyaient l’un à l’autre, dans une « exquise » complicité, la séduction et la grâce, la tendresse et l’amour.

Aucune raison de se défendre de les trouver plus séduisants encore parce qu’on les sait mariés et parents de la petite Malèna.

LA MARSEILLAISE

De toutes les Marseillaise qu’il a interprétées, il y en a une qui s’est marquetée dans les cœurs : dans le sien, il l’écri dans son premier livre : Je ne suis pas le fruit du hasard et le raconte au micro ; dans les nôtres aussi – peut-être ne le sait-il pas.

Avant lui, chaque année, l’une des plus belles voix du monde venait à Paris interpréter La Marseillaise pour le 14 juillet. C’était très beau, mais nous restions indifférents, pourtant il n’y avait rien à redire, sinon que l’essentiel manquait.

L’essentiel, c’est lui qui nous l’a donné ce jour où, place de la Concorde, tout seul devant les chœurs d’hommes et les musiciens, en face de la tribune officielle où le président Chirac et ses invités écoutaient debout, il a chanté l’hymne national. Les officiels étaient à l’abri, pas lui, cloué par le soleil, superbement habillé de noir, col officier, sans cravate.

Il a écrit que ce jour il s’était senti complètement Français. Nous aussi, comme jamais, grâce à lui, nous nous sentions Français.

Personne avant lui n’avait chanté La Marseillaise avec une pareille ferveur, un héroïsme, une altière fierté qui nous battait aux tempes et dans le cœur. Enfin, quelqu’un nous incarnait l’idée de la grandeur. Avec lui, on n’était plus au musée, il nous restituait l’Histoire, il ressemblait à la sculpture de Rude sur l’Arc de Triomphe, mais lui, notre ténor, resplendissait de vie. Il n’a pas changé.

En 2013, il a chantée La Marseillaise au Champ-de-Mars. Seulement, c’était en différé. Exploit technique : il chantait avec l’orchestre en duplex depuis Marseille où il était pour Les Troyens.

En 2013, alors qu’il chante à Marseille la version concert des Troyens, les images de La Marseillaise d’Alagna sont projetées au Champ-de-Mars.

Cette année, en 2019, c’est Aleksandra Kurzak qui a apporté la surprise.

Aleksandra est Polonaise. Son chant national est La Mazurka de Dombrowski. Elle qui ne parlait pas français il a quelques années, qui l’a appris, elle a chanté La Marseillaise à pleine voix, dans l’enthousiasme et la fierté, magnifique près de Roberto Alagna et tous les cœurs ont craqué pour elle qui brillait de cette même ferveur qui fait la séduction de son ténor.

Jacqueline Dauxois

Note : Exceptionnellement, les photos ne sont pas mes photos, mais des captures d’écran que j’ai recadrées d’après l’émission de France 2 pour le concert du 14 juillet 2019, les autres d’après des vidéos de INA.

Annexe :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *