Le des Grieux de Roberto Alagna, l’enchanteur

17 février 2022, à l’Opéra de Paris.

Après deux annulations dues au Covid à l’orchestre, ce soir, c’est la dernière chance d’entendre Roberto Alagna.

Dans les conditions qu’impose encore la pandémie, si rudes pour les artistes, si désagréables pour le public, on sent flotter l’appréhension d’une annonce de dernier moment qui anéantirait cet espoir.
Il n’y a pas eu d’annonce mauvaise.

Le rideau s’est levé.
Il était là.

Il a comblé le public de toutes les beautés.

Dix ans après son dernier Manon, il reprend l’un de ses premiers rôles, il entre en scène, souverain, resplendissant de jeunesse et de beauté, provoquant le premier transport d’allégresse. À sa première phrase, on sait que ce sera un très grand soir.
Sa voix domine tout, emporte tout, s’empare de l’espace, s’approprie les volumes dans une plénitude qui emporte les autres chanteurs dans son sillage.

Joueur, tendre, amoureux, et amant passionné, à peine effleuré par l’aile sombre du soupçon lorsqu’il découvre un bouquet et que résonnent les coups à la porte, il revient, méconnaissable, pour la scène de Saint-Sulpice. Seul dans la nef, après le départ de son père et des dévotes enamourées, hanté par la « douce image » (la lecture de Py doublait cet air par des projections grand format des fantasmes érotiques masculins) que le service de Dieu n’a pu effacer de son cœur, il succombe au chant de la sirène et envoie sa soutane aux orties.

Déchiré de renoncer à Dieu, faute de ne pouvoir renoncer à elle, il se rend avec un désespoir ardent qui le conduit inexorablement du bonheur des sens à l’humiliation de la salle de jeu et la mort de Manon.
La salle partage la voluptueuse torture de son âme, la comprend, l’approuve et, pour finir, cède avec lui. C’est l’exploit qu’Alagna renouvelle sans cesse : la salle s’assimile à son personnage.

Il rend son des Grieux aimable jusque dans ses faiblesses, compréhensible tout le temps et l’histoire coule de source, comme le roman

Mais ici la source c’est lui, Roberto Alagna. Ceux qui ont assisté à cette production, interrompue par la Covid il y a deux ans, le savent. Il y régnait une incompréhensible froideur.


En restituant la vérité littéraire et lyrique de son chevalier, il a entraîné le changement de Manon, et, par contre coup, infléchi la mise en scène de Vincent Huguet – qui a tout à y gagner. Le baiser donné à travers la lettre (qui évoque les masques que les solistes ne portent pas, mais les chœurs oui) et la mort de Manon, qui n’est plus fusillée, sont la signature d’un renouveau authentiquement alagnesque. Du très grand art.

Ténor et acteur, Roberto Alagna est un enchanteur.

©Jacqueline Dauxois

Note :

Manon est Ailyn Pérez.
Après Roberto Alagna, Atalla Ayan et Benjamin Bernheim continueront la série que devait assurer un ténor américain.

Une réflexion sur “Le des Grieux de Roberto Alagna, l’enchanteur

  1. Mme Dauxois a retrouvé toute son énergie et son talent de conteuse pour nous faire vivre (revivre pour certains)ces tranches de vie (douloureuses) dont elle a fini par sortir indemne . La voila repartie vers de nouvelles aventures . Bon vent Jacqueline

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