Jacqueline DAUXOIS


Jacqueline Dauxois, Grasse, 16 juillet 2020.

Qui je suis ? Quels sont mes titres pour montrer le bout de mon nez ? J’ai des diplômes universitaires dans des disciplines aussi différentes que le doctorat de littérature et le DEA de cinéma, en passant par les sciences politiques, la théologie dogmatique, la bioéthique médicale, l’histoire de l’art, j’en oublie peut-être (voir la biographie en images sur le site) ; j’ai exercé tous les métiers à ma portée : journaliste, reporteur, critique littéraire et de cinéma, scénariste, chargée de cours à l’École Centrale de Paris etc. j’ai publié une quarantaine de livres : poèmes, romans, essais, biographies, histoire.

Jacqueline Dauxois, Paris, 1988 ?

J’aime l’art, aller où personne ne va, découvrir, apprendre.
C’est pour voir exister le monde que je l’ai parcouru hors des sentiers battus. C’est pour écrire, peindre et photographier sans m’occuper de gagner ma vie que j’ai passé diplôme sur diplôme, ça m’amusait et mes parents m’entretenaient. Après, j’ai exercé plusieurs métiers, toujours plusieurs en simultané. Aujourd’hui, j’en ai trois :

– Écrivain.
– Photographe.
Je voulais appeler mon site web « les Artimages » puisque j’y réunis l’écriture et la photo, les articles et les images, on m’a dit que personne ne comprendrait.
-Expert permanent en Bioéthique médicale (Comité de Protection des Personnes, collège 2) à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris.

Depuis que j’ai cinq ans, j’écris et je photographie. Le reste, c’est en plus.

J’ai laissé de côté le journalisme quand j’ai eu fait le tour et le reportage pour la même raison, on voulait m’enfermer dans un cadre. Je les fais exposer. J’ai continué, seule, à mon idée, dans ce cas, ce n’est plus un métier, mais une passion. Toujours à cause des cadres où on voulait m’enfermer, j’ai renoncé à enseigner, j’adorais pourtant parce que les élèves m’aimaient. J’ai enseigné à Sciences Po (Aix-en Provence), dans une école de Journalistes, l’IPSA, à Paris et à l’École Centrale. Comme les cours ne m’ont jamais empêchée d’écrire, de peindre, de photographier, j’y serais encore si l’administration n’avait pas eu l’idée de me faire radoter le même cours chaque année. Si je n’apprends pas en même temps que mes élèves et autant qu’eux, je m’ennuie, et ça, pas possible. Arrêter d’enseigner m’ a donné le temps d’aller chercher des sujets de livre où je voulais, en Russie quand on ne pouvait pas y aller sans faire d’interminables démarches, en Chine quand elle était fermée, dans les caravansérails de la route de la soie quand on tiraillait derrière les collines aux confins de l’Afrique noire où j’ai assisté à des cérémonies initiatiques qui me paraissent glaçantes aujourd’hui, mais pas à l’époque, ça me semblait normal d’être là, témoin d’une cérémonie unique, et je n’ai jamais eu peur de rien. Toujours pas d’ailleurs. J’ai raison. La peur et la haine sont les ravageurs du cœur et de l’espèce humaine qui enchainent la liberté d’aimer pour laquelle nous avons été créés. Cette liberté, on ne peut pas la mettre dans l’écriture et les photos si on ne l’a pas mise dans sa vie.

Après avoir publié « Quatre Saisons avec Roberto Alagna » et recommencé la photo pour de bon après une interruption pendant les début du numérique où les appareils étaient nuls, sans jamais m’arrêter d’écrire, j’ai continué à l’Opéra sans abandonner la bioéthique non plus, que je pratique depuis quinze ans, je cloisonne mais j’ai besoin de ces deux univers. La tragédie du plus sombre de la vie, ces dossiers qui ne parlent que de la maladie et de la mort me remettent les pieds sur terre. J’accepte ce qu’il y a de tragique à évaluer les effets secondaires et le rapport bénéfice/risque d’un médicament à l’essai pour garder les pieds sur terre alors que l’Opéra me fait planer au milieu des étoiles avec les chanteurs et les chanteuses, ces êtres d’exception, totalement hors du commun, et qui le prouvent chaque jour. Je crois qu’il est dangereux de s’arrêter dans sa tête, d’y désactiver quelque chose qu’on aime. Il ne faut pas soustraire, mais ajouter toujours.


Il me faut plusieurs vies pour remplir la mienne à craquer. Écrire, c’est vivre mille vies sans s’exposer à être vue. Photographier, c’est se cacher encore plus. Mes titres, pas seulement le DEA de cinéma, les autres aussi , mes publications livres (un quarantaine), articles (des centaines), et le nom des journaux et revues qui publiaient mes photos dans ma jeunesse, et l’agence Sigma qui les distribuait, tout m’a servi pour me faire accepter comme photographe depuis 2014 dans tous les opéras de New York à Moscou, pour avoir des places de presse, des autorisations pour photographier, un contrat de photographe signé avec le ROH en 2017. Ensuite, ça roule, mon travail est publié, les opéras le connaissent. Dernier en date, cet été, juillet/août 2021, la Direction Artistique de l’Arena di Verona, m’a demandé mes articles sur les 2 Cav/Pag y compris les répétitions pour lesquelles j’avais une autorisation. Je leur ai tout envoyé. Ils m’ont répondu de revenir quand je voudrai.

Comme écrivain, jamais eu besoin de me servir de mes titres. Je suis entrée au « Magazine Littéraire » parce qu’ils avaient aimé mon premier roman. Et quand on écrit au « Mag », on va où on veut, pas compliqué. Pour décrocher des entretiens avec les plus grands, il leur suffisait que je sois écrivain. J’ai persuadé Henry Miller avec « Rocaïdour », Andrej Wajda avec « Les Blanches années », Roberto Alagna avec « Zénobie, la reine de l’Orient ».

Depuis le 3 septembre 2020, où une voiture folle m’a écrasée, j’essaie de reconstituer l’ensemble qui est moi, qui l’était, de faire redémarrer la machine. C’est difficile, je peine. Un jour, elle ne voudra plus rien savoir, je sais. Est-ce qu’il est utile de se préparer à ce jour ? Je crois qu’il arrivera différent de ce qu’on imagine et que s’il peut nous trouver debout, pas mort de terreur avant d’être mort tout court, c’est le mieux. J’ai fait mourir des quantités de personnages dans mes livres, ils m’ont familiarisée avec l’idée, mais ils ne m’ont pas appris davantage que les vivants que j’ai accompagnés jusqu’au bout de leur route. J’ai fait le tour de plusieurs vies qui sont ma vie. Je voudrais mourir vivante. C’est la grâce suprême. Elle aurait pu m’arriver, cet été, le soir de la nuit Verdienne, après le concert qui réunissait trois des plus grands chanteurs du monde si Ludovic Tézier, l’un des trois, à table à côté de moi, avait laissé faire la nature. Il s’est interposé. Il m’a sauvée. Ce n’est pas lui qui me l’a raconté. Quand je lui ai dit, pour crâner, que j’aurais eu une belle mort, il a répondu, le comble de la courtoisie d’un homme de son âge à quelqu’un du mien, que c’était trop tôt. En face, un peu en biais, un autre des trois chanteurs me regardait revenir parmi eux. À son regard penché vers moi et au temps qu’il a mis pour lancer la plaisanterie qui nous a tous rassurés, j’ai compris qu’il s’était fait du souci. Plus tard, je lui ai avoué que son inquiétude m’avait rendue très contente. On s’est regardés drôlement et on a ri ensemble. C’est un bon souvenir de l’été.