Mes vies de Henry Miller à Roberto Alagna

Le 30 septembre 2021

Depuis que j’ai cinq ans, j’écris et je photographie. Le reste, c’est en plus. Depuis ma jeunesse, j’ai exercé tous les métiers à ma portée. Pour le moment, j’en ai quatre.

ÉCRIVAIN, JOURNALISTE, PHOTOGRAPHE, EXPERT EN BIOÉTHIQUE MÉDICALE

Ci-dessous, Paris 1988, sortie de « Lambert ou l’effet Compton »
(©John Foley)
2020, Grasse, sortie du « Mémorial des anges oubliés ».

Depuis que j’ai seize ans, je publie . Officiellement, j’en suis à une quarantaine de livres, en réalité un peu plus. Dernier en date, il y a un an : « Le Mémorial des Anges oubliées » roman, l’année prochaine, en 2022 : « Nouvelles d’un monde cruel ».
Dans le prolongement de l’écriture, j’ai commencé, il y a une poignée d’années, un site web et, avant l’été covid 2021, un Facebook.

Je suis photographe aussi.
Mon quatrième métier, c’est la Bioéthique médicale.

ÉCRIRE ET PHOTOGRAPHIER

Écrivain, journaliste et photographe c’est utiliser des moyens différents pour regarder. Photographier, c’est décrire. Écrire c’est choisir un cadrage. Depuis toujours, chaque fois que c’était possible, je faisais le reportage photo pour mes articles (Magazine Littéraire, Cahiers du Cinéma, Quotidien de Paris, La Croix, Matin de Paris, Der Spiegel etc.).

Avec Roberto Alagna à la sortie de la « Lettre à Malèna ».


Des articles aux livres, cela s’est fait tout seul. Trois de mes livres ont pour couverture trois de mes photos. Pour les deux premiers, c’était prévu ; le troisième, ce fut après que l’éditeur ait épuisé toutes les ressources possibles pour faire autrement.
Pour « l’Exil est ma patrie, » j’ai signé deux contrats, comme écrivain et photographe. À Atlanta, j’ai capté de Volkoff ce creux dans la fossette, ce sourire et cette irone qu’on trouve jusque dans ses « Humeurs de la mer » qui ont fait les beaux jours de la littérature, en leur temps.
La couverture de la « Lettre à Malèna » on a pas eu besoin de chercher, je l’avais attrapée à la volée, à Orange, devant l’entrée des artistes. Roberto Alagna a été d’accord. Nous n’avions pas besoin d’un autre avis.

Avec « Quatre Saisons avec Roberto Alagna », on a connu le rodéo. L’éditeur en était à sa dixième proposition (d’habitude, on me présente trois ou quatre projets , jamais dix), toutes refusées par le ténor qui, bien que patient, commençait à se lasser et moi j’étais terrifié qu’on envisage de défigurer mon texte avec des photos mortes qui ne ressemblaient ni à celui que j’avais pris pour héros ni à ce que j’écrivais de lui. À la onzième, on a pris mon petit ordi, et on a retrouvé la photo qu’il voulait, la mienne, depuis les répétitions d’« Otello » à Orange (il en était à « La Juive » à Munich)

Ci-dessous, mes trois photos de couvertures, en 1982, 2015 et 2017.

LA BIOÉTHIQUE, EN PLUS

Comme je voulais approcher de l’inapprochable et comprendre l’incompréhensible : Dieu, la vie et la mort, j’ai passé des examens de bioéthique médicale, à la Timone à Marseille et de théologie dogmatique à l’Institut Saint-Serge à Paris et j’ai été nommée au collège 2 du Comité de bioéthique médicale de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. C’est un univers âpre et difficile. Il est tragique de devoir évaluer les effets secondaires et le rapport bénéfice/risque d’un médicament à l’essai et de donner un avis favorable ou non ou une abstention quand on mesure les souffrances humaines qui ont inspiré ces recherches (l’appât du gain aussi). Cette réalité de la condition humaine, celle de tant de fins de vies dramatiques, permet de garder les pieds sur terre et rééquilibre la double l’exaltation que procure l’écriture et le vol au au milieu des étoiles où on plane dans une autre ivresse avec les chanteurs et les chanteuses, ces êtres d’exception, totalement hors du commun, et qui le prouvent chaque jour. Et certainement aussi, il est dangereux d’arrêter quelque chose dans sa tête, d’y désactiver une pratique. Il ne faut pas soustraire, mais ajouter toujours.

Donc quatre métiers en ce moment. Suffit d’aimer, on trouve le temps.

Ci-dessous, quelques couvertures .

LES AUTRES MÉTIERS DE MA JEUNESSE

J’ai exercé d’autres métiers encore dans ma jeunesse : journaliste, reporteur, producteur d’émissions sur France 3, critique littéraire et de cinéma, scénariste, prof, chargée de cours à l’École Centrale de Paris etc. sans jamais arrêter de publier : poèmes, nouvelles, romans, essais, biographies, histoire, sans compter les séries sous pseudonyme sur les crooners, les star de cinéma, les champions de cyclisme, des traductions Barbara Cartland, une série pour la jeunesse. Tout ce qui peut s’écrire, je l’ai écrit. Même des pièces de théâtre à l’époque où j’étais assistante à la mise en scène au théâtre de la ville et au Festival d’Avignon pour « Isabelle trois caravelles et un charlatan « de Dario Fo. L’inconvénient, c’est que les limites sont étroites au théâtre, alors qu’à l’Opéra, elles sont explosées, en tout cas avec Roberto Alagna l’ennui n’existe pas.
J’ai tant écrit et je n’ai jamais été un nègre. Je les envoyais promener, eux et leurs chèques tentateurs. S’ils ne savent pas écrire, personne ne les oblige, si l’éditeur veut faire de l’argent avec leur nom, sans moi. Leurs manigances ont détruit un monde littéraire que j’aimais pour en faire un marché quand ce n’est pas une foire comme aux bestiaux. Ce que j’écris, je l’ai toujours signé. Quand je devais fournir du pur alimentaire pour conserver ma liberté, j’inventais des séries, des sujets, des pseudonymes, les miens. La liberté de choisir sa vie s’achète. Je l’ai toujours su.
À la fac, c’était facile, mes parents m’entretenaient parce que je réussissais. Ensuite, je me suis entretenue toute seule, beaucoup moins bien, mais les objets de luxe m’intéressent tellement pas, que lorsque j’en ai, je les ai donne. Je n’ai peur que d’être enfermée, j’aime l’art et je veux aller où personne ne va, découvrir et apprendre. C’est pour voir exister le monde que je l’ai parcouru hors des sentiers battus.

Ci-dessous : avec Isa Mercure (à droite) dans sa loge au Théâtre de la Ville, avec Henry Miller à Pacific Palisades, avec Vladimir Volkoff à Paris.

ENSEIGNER/BAROUDER

J’ai laissé de côté le journalisme quand j’ai eu fait le tour et le reportage pour la même raison. J’ai renoncé aussi à enseigner, j’adorais pourtant parce que les élèves m’aimaient. J’ai enseigné à Sciences Po (Aix-en Provence), dans une école de Journalistes, l’IPSA, rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris et à l’École Centrale de Paris. Comme les cours ne m’ont jamais empêchée d’écrire ni de vivre, j’y serais encore si l’administration n’avait pas eu l’idée de me faire radoter le même cours chaque année, mais si je n’apprends pas du neuf pour le transmettre, je m’ennuie. Et puis Centrale est loin du centre, dans les bois et les champs. Arrêter m’a donné le temps d’aller chercher des sujets de livre en Russie quand on ne pouvait pas s’y rendre sans de décourageantes démarches, en Chine quand elle était fermée, dans les caravansérails de la route de la soie quand on tiraillait derrière les collines, dans le Caucase agité, aux confins de l’Afrique noire où j’ai assisté à des cérémonies initiatiques qui me paraissent glaçantes aujourd’hui, mais à l’époque, il me semblait normal d’être témoin d’un rituel sanglant et je n’avais pas peur. La peur et la haine sont les ravageuses du cœur et de l’espèce humaine, elles enchainent la liberté d’aimer pour laquelle nous avons été créés. Cette liberté, on ne peut pas la mettre dans l’écriture et les photos si on ne l’a pas chevillée dans sa vie.

DIPLÔMES EN TOUT GENRE, LA CLEF POUR PHOTOGRAPHIER À L’OPÉRA


Dans l’édition, le journalisme, même l’enseignement, j’ai trouvé des accès faciles. Ils l’ont été un peu moins à l’Opéra pour convaincre, non pas les artistes, mais les directions et les services administratifs des Opéras qui sont là pour protéger les solistes des agressions dont ils sont sans cesse l’objet. Là, j’ai dû piocher dans mon assortiment de publications tous azimuts et de diplômes en tous genres. En musique, je n’avais rien, pas un diplôme, j’ai déballé tout ce ce qui correspondait à mon projet, du doctorat de littérature au DEA de cinéma en passant par les sciences politiques et l’histoire de l’art, pour les convaincre. Depuis 2013, je suis admise comme écrivain/photographe pendant les répétitions y compris les jours où la presse n’est pas autorisée (avec l’accord préalable des solistes, du metteur en scène s’il s’agit d’une nouvelle production, du chef dans tous les cas, cela va de soi) dans les Opéras de New York à Moscou, j’ai une place de presse, l’autorisation de photographier, un contrat de photographe signé avec le ROH, en 2017. Le Met, qui a été si difficile à conquérir, qui la première année où je l’ai demandée, malgré l’appui de Roberto Alagna, m’a refusé les répétitions, ensuite m’a ouvert toutes les portes : Archives, ateliers, machinerie, tout, et, depuis « Cyrano de Bergerac » le premier spectacle pour lequel j’ai eu les droits photo, c’est l’Opéra qui fait part la plus belle à mon travail. Pour « Cyrano », la première fois que je postais mes photos, faites avec leur autorisation : j’en ai six en première page de « Google » rubrique « images ».

A titre d’exemple, ci-dessous, mes photos en page 1 de « Google », à la rubrique « images » :« Cyrano », « Pagliacci » (Metropolitan) et « Pagliacci » (Arena di Verona).

Pour « Pagliacci », en page 1/Google/ « images », 14 de mes photos de Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak, signées automatiquement par la machine qui s’en empare et les mouline à son idée. Pour « Turandot » à Vienne, le dernier opéra qu’il a chanté avant le Covid, 9 photos en page 1, etc.
Dernier exemple, cet été, juillet/août 2021, la Direction Artistique de l’Arena di Verona, m’a demandé les liens pour mes articles et mes photos sur les 2 Cav/Pag – y compris les répétitions pour lesquelles ils m’avaient accordé une autorisation à la suite d’un incroyable enchaînement de petits miracles qui ont stupéfié eux et moi (et que j’ai racontés ailleurs). 11 photos de moi en p.1 de Google (dont une égarée là que j’ai prise au Met).

Je venais de leur envoyer ce qu’il me demandaient, c’est-à-dire tout : articles et photos que j’avais postés sur mon site et mon Facebook. Ils m’ont répondu que je serai la bienvenue à Vérone quand je voudrai.

Ci-dessous, reportage sur le cinéma polonais dans les « Cahiers du Cinéma », en haut à droite Andrej Wajda ; la photo n’est pas de moi contrairement à celles de Daniel Olbryscki, à gauche à Versailles ; à droite, à Varsovie, chez lui.

RENCONTRES AVEC DES ARTISTES REMARQUABLES

J’ai toujours voulu rencontrer des hommes remarquables, des êtres à ce point exceptionnels qu’il est évident qu’il me manquerait quelque chose d’essentiel si je n’avais pu les approcher. Aucun de ces géants ne m’a refusé un entretien, même quand je venais de ma seule volonté, au lieu d’être envoyée par un journal ou un éditeur. C’était rare que je m’obstine toute seule à vouloir travailler sans filet. C’est arrivé deux fois avec Henry Miller, pour un article et Roberto Alagna pour un livre. Je me rends compte aujourd’hui à quel point ces situations étaient extraordinaires. Miller, le plus grand écrivain américain de sa génération, mondialement connu, tout près de sa fin qui accepte de me recevoir chez lui, à Pacific Palisades, et la première chose que je lui avoue, c’est que personne ne m’envoie, que peut-être il va perdre son temps avec moi, il rit et me dit : « Allez dans la piscine tout de suite! » Il m’a parlé pendant trois jours.
À des années lumières de Miller, Roberto Alagna, le plus grand ténor de notre temps. Grâce à sa sœur, qui est agent, je le rencontre à Londres pour la première fois et lui déballe en vrac que je n’ai pas de contrat, que je lui apporte 20 pages, le début de ce que je veux écrire sur lui, que je doisles lui lire pour le persuader ou qu’il les lise, lui. Comme Miller, il rit. Faut dire que je bégaie comme ça ne m’est jamais arrivé parce que jamais je n’ai eu un entretien privé en public, devant des tas de gens que je ne connais pas, plus dur que le grand oral de sciences Po, qui est très amusant. Avant de rencontrer ces géants, je leur ai envoyé un livre comme une carte de visite, c’était ma bouteille à la mer, les destinées ensuite tissaient la trame de l’invisible : j’ai persuadé Henry Miller avec « Rocaïdour » (Julliard), et Roberto Alagna avec « Zénobie, la reine de l’Orient »(Flammarion/Pygmalion).

Miller m’a appris qu’il faut rester un grand seigneur et sourire jusqu’à la fin.
Avant Alagna, Andrej Wajda, que j’ai rencontré à Varsovie avec Daniel Olbryschi (contrat avec les Cahiers du Cinéma) m’a appris alors qu’il faisait semblant de ne pas parler français et qu’on avait tout le temps un interprète, que les yeux peuvent dire autrement que les mots.
Alagna m’apprend la bonté. Je ne sais pas si j’aurai le temps d’explorer ces trois sources de richesse jusqu’à la fin ou si je serai prise par surprise, la main dans le sac agissant au contraire de ce que je désire.

MIRACLE DE LA NUIT VERDIENNE

Depuis le 3 septembre 2020, où une voiture folle m’a écrasée, j’essaie de reconstituer ce qui fut moi et de redémarrer. C’est difficile et je peine, dans l’attente d’une troisième opération en quatorze mois pour essayer de me réparer complètement. Un jour, la petite machine merveilleuse qui m’a été donnée ne voudra plus rien savoir, je sais. Est-ce qu’il est utile de se préparer à ce jour ? Je crois qu’il arrivera différent de ce qu’on imagine et que s’il peut nous trouver debout, pas mort de terreur avant d’être mort tout court, c’est le mieux. J’ai fait mourir des quantités de personnages dans mes livres, ils m’ont familiarisée avec l’idée, mais ne m’ont pas appris davantage que les vivants que j’ai accompagnés jusqu’au bout de leur route. J’ai fait le tour de plusieurs vies qui sont ma vie. Je voudrais mourir vivante. C’est la grâce suprême.

Ci-dessous, Roberto Alagna et Ludovic Tézier, Nuit Verdienne, Chorégies, 24 juillet 2021.

Elle aurait pu m’arriver, cet été, le soir de la nuit Verdienne, après le prodigieux concert qui réunissait trois des plus grands chanteurs du monde si Ludovic Tézier, l’un des trois, à table à côté de moi, avait laissé faire la nature. Quand je lui ai dit, pour crâner, que j’aurais eu une belle mort, il a répondu, le comble de la courtoisie d’un homme de son âge à quelqu’un du mien, que c’était trop tôt. En face, un peu en biais, un autre de ce trio magique, me regardait revenir. À son regard penché vers moi et au temps qu’il a mis pour lancer la plaisanterie qui nous a tous rassurés, on voyait qu’il s’était fait du souci. Le jour où je lui ai dit que son inquiétude m’avait rendue contente, il a souri.

Ci-dessous : août 2021, avec Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna,
qui viennent de triompher dans Cav/Pag à Vérone .

© Jacqueline Dauxois