ALCHIMIA de Patricia Petibon au 70 e Festival de musique de Menton

Teint de porcelaine poudré de lune, paupières scintillantes d’une poussière d’étoiles, cheveux incandescents torsadés dans un bandeau couronnant son front pâle, Patricia Petibon s’approche du piano sur le parvis de Saint-Michel-Archange dans une longue robe de satin et dentelles d’un rose qui hésite entre saumon et corail et la moule dans un écrin intemporel.

Le spectacle, deux heures sans entracte informe l’annonceur, a été conçu avec son mari récemment disparu, le violoniste de jazz Didier Lockwood. Elle est accompagnée par deux musiciens de jazz : Fiona Monbet, violon, élève de Lockwood et le stupéfiant Dimitri Naïditch au piano.

Mais ce nom d’« Alchinia », pourquoi ? Est-ce qu’on l’imagine, pareille à un Rodolphe II de Habsbourg dégoûté des hommes et du pouvoir, réfugiée au milieu de tortillons qui glougloutent, à la recherche de la pierre philosophale, le front penché sur les creuset de l’enfer, acharnée à changer le vil plomb en or pur ?

Le programme annonce un mélange d’airs d’opéras, de chansons, de jazz et de comédies musicales. On a déjà entendu de telles juxtapositions, c’est un peu court pour parler d’alchimie et pas de quoi en faire un… alambic.

Mais dès qu’elle ouvre la bouche, on sait qu’on n’a rien entendu de pareil et qu’il s’agit bel et bien d’une transmutation.

Qui ne sait rien du spectacle (et c’est ainsi qu’il faut venir à celui-ci) n’en croit pas ses oreilles d’abord. On reconnaît et on ne reconnaît pas, on se croit, dans l’oreille, d’auditives hallucinations. Mais qu’est-ce qu’on me chante-là ?
O mio Babbino caro, c’est, mais non ce n’est pas, mais si c’est Puccini transmuté en bossa-nova et Les Noces de Mozart se paillettent de jazz, ça alors !  Et la Pavane pour une Infante défunte ruisselle à travers la Claire Fontaine, et Michelle de nos vingt ans enfuis revient en force au rythme de Satie et Padam, padam s’habille en Debussy… Oh que la tête tourne et comme elle tourne bien avec cette voix de colorature qui vous entraîne de la tragédie au rire et du sourire au burlesque avec des sonorités qui partout instillent la poésie.

Dans sa Manon , elle avait osé juxtaposer à l’image traditionnelle une autre totalement insolite si bien que, parfois, « la courtisane tour à tour raffinée, lointaine, désolée, à la sensualité froissée se transformait en petit clown étrange évoquant la détresse d’une Guilietta Massina dans La Strada ». Comme personne ne paraissait le remarquer, j’avais hésité à évoquer ce petit clown, qui ne pouvait pas être là par hasard, au cœur du désespoir de Manon, si évidemment présent dans des attitudes du corps disloqué, les genoux en dedans, les bras qui semblaient démanchés et la tête enfoncée dans le cou (1).

Dans « Alchimia », elle revendique le petit clown, s’affuble d’un petit nez rouge et d’un autre noir et puis, sans nez factice, mais en manipulant un très joli perroquet (que les ligues de protection des animaux ne s’alarment pas : le petit volatile est faux), sans renoncer ni au charme ni à la poésie, elle entre dans le cocasse, parvient jusqu’à l’auto-dérision et entraîne le public dans le jeu : qui est le perroquet ?

Pendant deux heures, et bien sûr il ne fallait pas rompre le fil d’or par un entracte briseur de rêve (2), et tant pis pour la vente du champagne et tant mieux ne d’être pas tiré de ce songe d’une nuit d’été par des manducations et caquetages et de suivre sans reprendre haleine ce déroulé magique où, Patricia Petibon actrice et soprano, exprime, dans un vertigineux raccourci, tout ce la musique peut être : tragédie, comédie, humour, moquerie, cocasserie, dérision, désespoir et bonheur… et davantage encore.

1) Voir : « Les deux Manon de Py à Bordeaux et Paris », publié le premier juin 2019.

(2) Mais non, je n’ai pas oublié le « Dictionnaire Intime » de Roberto Alagna, publié le 31 mars 2019 ; mais oui, je sais ce qu’il pense des entractes, pas la même chose que moi ; mais non je ne fais ni provocation ni ne le taquine par écrit ; mais oui, il m’a convaincue, comment ne l’aurait-il pas fait ? Il m’a convaincue sans pourtant me faire changer d’idée, simple question de point de vue. Nous pouvons, sur ce point, partager entièrement l’avis de l’autre sans toutefois être d’accord, et ce n’est pas un paradoxe ; lui, sur la scène, moi dans la salle, comment nous ferions-nous la même idée et du spectacle et des entractes ?

© Jacqueline Dauxois

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