Roberto Alagna et les six morts de Mario Cavaradossi, Met 2022

UN HÉROS STENDHALIEN

Mario Cavaradossi, le héros qui meurt six fois en Roberto Alagna au cours de cette série newyorkaise (4 spectacles en mars 2022, 2 à l’automne, six mois plus tard), appartient à une génération qui fascina tellement Stendhal que personne ne s’étonnerait de trouver son histoire dans les « Chroniques italiennes ».

Mais qui est-il ? 

Un peintre amoureux d’une cantatrice renommée, Tosca (acte 1), enflammé secrètement pour les idées de liberté répandues en Europe par les armées de Bonaparte.
Un artiste célèbre puisque les autorités pontificales, certainement informées de ses choix politiques, lui ont commandé non un sujet secondaire, mais une Marie-Madeleine, la plus grande sainte de la chrétienté, « égale aux apôtres » (« Marie-Madeleine », Jacqueline Dauxois, Flammarion 1998).

Tombé entre les mains de Scarpia, chef de la police pontificale (acte 2), Mario défie le pouvoir qui pactise avec l’occupant autrichien faisant claquer comme un drapeau son rêve immense qui le conduit à la mort (acte 3). Il le sait.

Il le dit au début de l’acte 3 dans l’un des plus beaux airs de de ténor qui semblent avoir été écrits pour Alagna « E Lucevan le stelle ».



DU LUCEVAN À LA RAFALE

E lucevan le stelle,

Ed olezzava la terra

Stridea l’uscio dell’orto

Ed un passo sfiorava la rena.

Entrava ella fragrante,

Mi cadea fra le braccia.

O dolci baci, o languide carezze,

Mentr’io fremente le belle forme

Disciogliea dai veli !

Svani per sempre il sogno moi d’amore.

L’ora è fuggita, e muoio disperato !

E non ho amato mai tanto la vita !

Et brillaient les étoiles

Et embaumait la terre

La porte du jardin grinçait

Et un pas glissait sur le sable.

Elle entrait parfumée

Et tombait dans mes bras.

O doux baisers, o languides caresses,

Je tremblais découvrant sa beauté

En écartant ses voiles!

Il sombre pour jamais mon beau rêve d’amour.

Le temps à fui, et je meurs désespéré !

Et jamais je n’ai tant aimé la vie !



Avant d’être fusillé, pendant quelques minutes, il est seul, debout, en face du peloton. Au lieu d’une croix, les soldats lui ont mis dans la main une lanterne pour qu’il éclaire lui-même son exécution, rendue plus tragique par l’abandon de Tosca. Elle est là, pourtant, présente mais si absente, l’ayant abandonné deux fois, en tuant Scarpia (on pourrait peut-être discuter si c’est un abandon) et puisqu’elle est persuadée que l’exécution sera un simulacre, gavant son amant de conseils à la résonance insupportable tant ils sont décalés de la réalité : la mort qui s’approche de Mario. Ici, l’abandon ne se discute plus. Mario le sait puisque, pas une fois, pendant ces « instants suprêmes », son regard ne cherche celui de Tosca. Il quête tout autre chose.

Pendant les quelques minutes où il attend la mort, il ne se passe rien, les soldats arment les fusils et vont tirer. Mario attend avec sa lanterne. Le ténor n’a rien à chanter et rien à faire qu’à attendre, sa lanterne à la main. Il pourrait ne rien se passer.
Dans ce temps vide, Roberto Alagna, comble un vide et engage un dialogue muet, dans lequel Alagna acteur répond à Alagna ténor du début de l’acte. Comment peut-il, lui qui n’a jamais attendu qu’un peloton l’exécute, accéder et nous faire accéder à cette attente de la mort que nous allons vivre tous, un jour.



Pendant « Lucevan », lorsque Mario lève les yeux, on peut dire qu’il regarde dans les étoiles son rêve d’amour qui le transportait au paradis des amants. À la fin, où il ne regarde jamais Tosca, mais le Ciel, c’est autre chose que cherche son regard dans une quête d’autant plus extraordinaire que, dans la logique du désespoir, qui est refus de Dieu, comme le Condamné du dernier jour (« Le Dernier jour d’un condamné », David Alagna, d’après Victor Hugo), il refuse l’assistance d’un prêtre.

Mais que ce prêtre, dont il ne veut pas, lui présente la Croix, (sauf, une fois, la troisième), il embrasse la croix et prie. Il rejette la religion, émanation d’un pouvoir politique oppresseur. C’est Dieu qu’il veut, lui, qui exerce son art dans une église de Rome au moment où il est arrêté.


Pendant lsix « Lucevan », le Mario d’Alagna avait les yeux dans les étoiles. Le sixième soir, son regard a exprimé une volupté païenne, il y cherchait peut-être une image idéale de l’union d’Éros (o dolci baci, o languide carezze) et Thanatos (muoio disperato) qui va se résoudre, au moment de l’attente de la mort.

Cette attente de la mort qui est une scène vide.
Dans ce vide, Alagna en Mario, six fois, creuse le contraste avec « Lucevan » et introduit ce désespoir qu’il ne montrait pas lorsqu’il le chantait. Qui donc manquait.

Cet écho, d’habitude zappé, cette inversion, cette complétude, a acquis toute sa puissance le dernier soir, dans une transe poétique au lyrisme halluciné qui transporte Mario du désespoir à l’espoir.



2022 AU MET, LES SIX ATTENTES DE MARIO, QUATRE EN HIVER DEUX AU PRINTEMPS

Dans le premier spectacles de l’hiver, le Mario d’Alagna évoque un oiseau affolé, les pattes dans la glu, qui se débat, cherchant à échapper au piège mortel. Effroi brut, viscéral, primitif des animaux de Pompéi, qui savaient avant leurs maîtres que la mort approchait.
Au deuxième, ses tempes battent, les veines de son cou s’enflent, mais, lui, comme il empoignerait un cheval au mors, de toutes ses forces, contient les sentiments qui le dévastent, attitude socratique qui s’affirme le lendemain dans une attente, la plus paisible de toutes. C’est la seule fois où il n’a pas embrassé la Croix, mais s’est incliné pour prier, la seule aussi où il a gardé les yeux clos tout le temps. Sans rien chercher à l’extérieur de lui-même sur la terre ni au ciel.

Dehors, cette nuit-là, il neigeait de petits flocons roides et piquants.

La quatrième attente de Mario est un retour au piège du premier soir, mais plus rien en lui n’évoque alors un oiseau captif. L’instinct animal a disparu. C’est un homme totalement conscient, l’Homme innocent qu’on a englué, qu’on va assassiner, qui ne veut pas mourir. Qui sait qu’il va mourir. Et garde les yeux ouverts.

Chaque nuit, en sortant, on se disait qu’il ne pouvait pas donner davantage, que revenir serait risquer cette plénitude, seulement c’est lui, on revenait, bien sûr.

Il ne le fera pas ensuite, mais au creux de l’hiver, quatre fois, alors que, de la main gauche, il est obligé de soulever lui-même la lanterne pour que les soldats le visent bien dans l’obscurité, il soulève aussi l’autre bras, évoquant le Christ en croix.

Pendant les deux nuits d’automne, six mois après les quatre premières, il n’a plus besoin d’extérioriser une image christique et le crescendo, dont on croyait que le quatrième soir d’hiver marquait le terme, se révélait un palier dans la montée vers le sixième et dernier soir de la série.

Le dernier soir, donc, il fut l’ incarnation de la poésie lyrique venue de la nuit des temps, Apollon et Dionysos confondus, et celle du pari de Pascal. Comment il a fait ? On ne sait. Que savait-il, lui, de ce dont il rendait compte, ce soir-là ?  Comment la vérité était-elle en lui si profondément, absolument, totalement inscrite, pour ressurgir avec l’évidence d’une pareille spontanéité ? Il révélait les doutes, le désespoir et le jaillissement de l’espoir de notre humaine condition en face de ce qui nous attend, après : le néant ou l’absolu sacré.

En quelques instants sur scène, il a récapitulé sur son visage, l’intuition millénaire de la mort et de l’au-delà qui, depuis l’« Antigone » de Sophocle, traverse la littérature profane et sacrée. Nous agonisions tous avec son Mario. Comment pouvait-il vivre sur scène ce qu’il n’a pas vécu ? Il ‘y avait plus de scène. Comment peut-il avoir une conscience aussi profonde de la mort qui approche et révéler une vérité à ce point universelle à travers le particulier ? C’est le cœur du mystère de son art, qui le rend capable de montrer, à travers les minutes de supplice vécues par son héros, l’homme, toute l’humanité, placé devant la mort imminente. Il a exploré ce moment six fois (sans parler de toutes les autres qui ont précédé cette série) pour, le dernier soir, atteindre une révélation partagée avec son public.

LE CHANT ET LE SILENCE



Son regard glissait de l’effroi intolérable, les yeux égarés, ses dents, qu’on n’avait jamais vues les cinq autres fois, paraissaient grincer de désespoir. Il fouillait les étoiles. Interrogation. Il questionnait le Ciel. Doutes. Avant l’éclair de feu, au fond de ses yeux, il y a eu une flamme autre. Mario, ignorant peut-être ce que c’était, faisait le pari de Pascal. Refus du néant. Pari que Dieu existe. Nous en frissonnions. Un éclair encore dans ses yeux. C’était la prière du bon larron sur la croix. Peut-être. Sûrement.

C’est ainsi que cette nuit du 4 novembre 2022, Roberto Alagna fut le phare qui a conduit la salle dans un (sans lui) inatteignable ailleurs. Chacun a vu ce qu’il voulait/pouvait, chacun a pris son rayon de lumière.

Très jeune ce soir-là, les vieux ayant renoncé à être des vieux, le public recevait avec passion-, porté, transporté, déporté par Alagna jusqu’à l’âme d’un peintre, qui n’a rien d’un mystique mais qui, confronté à son heure dernière, jette tout son être dans l’avant-mort et, du désespoir halluciné (muoio disperato), nous étions tous mourants et tous désespérés, ayant levé des yeux fous de terreur, nos larmes se pleuraient, entrevoyait l’espoir d’un Ciel prêt à le recevoir. Ses yeux basculés vers la voûte céleste, brûlant du désir de la voir s’ouvrir, lançaient dans le silence, le cri de victoire de l’Acte II, mais il appelait une autre victoire, son regard suppliait comme le bon larron, et, à l’instant de la rafale, le silence de Mario proclamait : « Mort, où est ta victoire ? » Nos cœurs battaient avec le sien. Les balles foudroyaient le héros d’Alagna qui est aussi le nôtre.

©Jacqueline Dauxois

(On peut lire les trois textes indépendamment, néanmoins voici les liens pour les deux articles qui précèdent :

https://www.jacquelinedauxois.fr/2022/03/11/au-metropolitan-aleksandra-kurzak-et-roberto-alagna-dans-tosca/(ouvre un nouvel onglet)

https://www.facebook.com/profile.php?id=100032304622591  )



Alagna à New York, promenade en zigzag autour de deux « Tosca », le 31 octobre et le 4 novembre 2022

Dans New York flamboyaient les couleurs de l’été indien, les aiguilles des tours s’inclinaient doucement vers leur reflet inversé dans les eaux du lac ; le matin, entre voitures hennissantes et camions rugissants, les chevaux des calèches, aux cochers décoiffés, piaffaient aux feux rouges pour gagner leurs emplacements à touristes aux entrées du Park ; torse nu, un new yorkais promenait deux chats de race en laisse, sages comme des écureuils, les oiseaux se laissaient photographier sans broncher ; à 10 heures, la file d’attente devant le Moma s’étalait, de l’entrée du musée jusqu’à l’angle des avenues – il suffisait d’attendre midi pour tranquillement passer et contempler le meilleur de l’art moderne un peu du pire aussi à travers une architecture dont les volumes s’ouvrent sur la ville comme des éventails ; c’est tout juste si le soir se couvrait de manteaux légers, surtout la nuit où une pluie hâtive a brillé sur les trottoirs.

Le seul endroit où il aurait pu avoir froid, c’était au théâtre, à Broadway, qui donnait « The phantom of the Opera », et où la clim gelait.

Il était à New York pour « Tosca ».

En mars 2022, avec Alekandra Kurzak dans le trôle titre, ils avaient donné ensemble, avant une « Bohème » à Puerto Rico, 4 représentations, sauf erreur de ma part, ce qui fera, c’est selon, une de plus une de moins, rions-en ensemble avec les correcteurs de maisons d’éditions, le 2, le 5, le 9 et le 12. Depuis le 4 octobre, Aleksandra avait repris une série de 9 représentations, sauf nouvelle erreur de ma part, Roberto venant la rejoindre pour les deux dernières, le 31 octobre et le 4 novembre de cette même année.

Dans mes zig zag se trouve une insolite photo.

Comment est-elle venue se caler entre les autres ? Les miennes, elle qui n’est pas de moi ? Je ne sais.

Elle représente Mario torturé trainé dans le bureau de Scarpia. Vu d’une place d’orchestre, ,les jambes d’un sbire de Scarpia le cachent parfois entièrement. Mais un instant, alors qu’il est tombé à genoux, on l’aperçoit entre une cuisse massive en uniforme et la main du soldat. De cette main, d’un bleu de métal de mort, recroquevillée, les doigts crochètent le visage pâle et torturé de Mario. À frissonner d’horreur.

Plus tard, j’ai compris. C’était un envoi d’Halloween, New York s’adonnant d’enthousiasme à ces festivités. Je n’ai pas détruit la photo, je ne la détruirai pas avant d’être certaine qu’elle n’apporte rien (elle n’apporte rien… à moins que ce ne soit cette vision qui fait claquer des dents à Mario lorsque la rafale va lui faire lâcher la lanterne). Je ne la posterai pas. C’est compliqué ? Vous trouvez ? Mais je n’ai jamais prétendu que c’était simple d’être écrivain et photographe.

En attendant un article que je posterai peut-être sur les morts de Mario, ci-dessous le lien pour le post sur mon site web en mars :

https://www.jacquelinedauxois.fr/…/au-metropolitan…/(ouvre un nouvel onglet)

© Jacqueline Dauxois

« Fedora » ou le retour d’Alagna à la Scala avec Sonya Yoncheva dans le rôle titre, octobre 2022

 

 LA GÉNÉRALE DU 12 OCTOBRE 2022



C’est le retour d’Alagna à la Scala.

Octobre 2022, quatre spectacles : une générale ouverte le 12, et le 15, 18 et 21 octobre 2022, trois représentations. Absent pendant seize ans d’une maison d’Opéra qui aurait dû ne pas cesser d’être l’une des siennes, il revient incarner un personnage fait pour lui, qu’il n’a jamais joué : le comte Loris Ipanoff dans Fedora. Prise de rôle aussi pour Sonya Yoncheva, interprète du rôle titre, qui a été à Madrid, en concert, sa Juliette.

MISES EN SCENE DE  GIORDANO, DE L’ANDREA CHENIER  DU ROH À LA FEDORA DE LA SCALA

Il y a quelques années, à Londres, le Royal Opera House lui a offert, pour Andrea Chenier, un Giordano plus fréquemment joué que Fedora, la mise en scène de nos désirs (qui sont peut-être aussi les siens) : respect de l’œuvre, beauté des décors et des costumes, harmonie des mouvements de groupes.

Après l’Andrea Chenier de Londres, dont la mise en scène reconstituait un monde en créant un support pour le rêve, quelle Fedora allait surgir de cette nouvelle production, retardée de deux ans par la Covid 19, pour le retour d’Alagna ?

 Il est devenu tellement banal qu’une mise en scène rende tout banal, qu’on se contente qu’elle ne soit « que » banale comme cette Fedora à qui on reconnaît le mérite de ne pas chercher le scandale, mais qui éradique tout ce qui pourrait évoquer l’histoire écrite par Victorien Sardou (auteur aussi de Tosca), mise en musique par Giordano sur un livret d’Arturo Calauti. Plus de XIXème siècle, plus de Russie, surtout pas de Sainte Russie, plus de nobles remplacés par Monsieur et Madame tout le monde. Au décor, moderne bric à brac du premier acte, avec une télé qui donne un match, succèdent trois autres, palais, villas, chalets qui ont l’avantage d’être épurés.

Modernes et élégants au premier et deuxième acte (on dirait qu’Alagna porte l’un de ses vêtements de concert), les costumes empirent au troisième. Jean et baskets. En tête de ceux qui déplorent ces affublements, Emidio Poletti, présent le soir de générale, qui habilla à la ville les plus grands de Kraus à Alagna, lorsque, à ses débuts à la Scala, il chantait La Traviata, La Bohème et Macbeth.

ROBERTO ALAGNA ET SONYA YONCHEVA

Le public est venu pour eux et ce sont eux, les chanteurs, qui sauvent une mise en scène vide.

Deux rôles secondaires excellents,, Serena Gamberoni, la comtesse Olga Soukarev et George Petean, de Sirex, on les connaît, l’une, avec sa grâce physique et vocale l’autre avec sa sûreté donnent de l’épaisseur à leurs personnages.

En dépit de longueurs, d’explications entortillées qu’on sauterait volontiers, « Fedora » commence en majeur, continue et s’achève en majeur.

Entre deux parenthèses de mort.

Seule, pendant tout le premier acte où Loris n’apparaît pas, l’intensité du chant de Sonya Yoncheva impose cette grandeur tragique dans laquelle, dans le seul registre dramatique, Sarah Bernhard triompha en son temps.

L’entrée de Fedora, à l’acte I, c’est l’entrée dans la tragédie.
Celle de Loris, à l’acte II, c’est l’entrée dans l’amour avec l’un des airs les plus célèbre du répertoire : Amor ti vieta.

AMOR TI VIETA

Amor ti vieta di non amar.

La man tua lieve che mi respinge

cerca la stretta della mia man.

La tua pupilla esprime « t’amo »

se il labro dice « non t’amerò ».

L’ amour t’interdit de ne pas aimer.

Ta douce main qui me repousse

Cherche l’étreinte de la mienne.

Ton regard dit : « Je t’aime »,

 tes mots prétendent : « Je ne t’aimerai pas ».

Amor ti vieta, ces cinq lignes de chant, si attendues, provoquent les transports. Plus loin, d’autres arias du ténor, de toute beauté aussi, ne déclenchent par le même enthousiasme. C’est qu’ Amor ti vieta contient le thème musical central de l’opéra, dit Roberto Alagna ; c’est aussi que, sur le plan sémantique, cet air exprime le cœur des sentiments complexes et déchirés qui vont conduire à la mort de l’héroïne. Enfin, cet air entraîne ceux de Loris seul qui passe de la joie à l’espoir, du doute à la souffrance insupportable et les duos qui s’enchaînent jusqu’à la fin, tous plus passionnées et poignants les uns que les autres.

Les airs de Loris s’élèvent vers le bonheur et sombrent dans la détresse et le désespoir ; les duos forment une prodigieuse chevauchée à deux voix, l’une enlaçant l’autre dans une harmonie qui s’exalte, s’emballe jusqu’au fond de l’âme dans une étreinte fusionnelle,

comme deux encolures ruisselantes, deux crinières qui s’emmêlent dans la course à l’abime et les visages rapprochés, les bouches qui exaltent des sons aussi somptueux et profonds semblent deux bouches appartenant à un seul être.

SORTIE DES ARTISTES

Ci-dessus : Roberto Alagna avec Emidio Poletti, Marco Armiliato, George Petean, Sonya Yoncheva et Serena Gamberoni.

© texte et photos Jacqueline Dauxois

« Carmen » ou les deux don José de Roberto Alagna, Arena di Verona, 21 et 31 juillet 2022

JOUR MOINS 1

La douceur du jour moins 1, le 16 juillet 2022, fut ineffable. Fragment de vacances, liberté et beauté dans un soir torride où, pour répondre à un sourire, le ciel s’ocrait de rose et bleu dragée ironie flottante au-dessus de l’implacable alignement des arcades rognées par l’écoulement des siècles, effaçant le souvenir des sanglants spectacles qui régalaient l’Antiquité.

JOUR 1

Répétition, le 17 juillet 2022

Alors que j’avais eu, pour une fois, le bon sens de ne pas emporter les dossiers de bioéthique médicale dont je suis rapporteur à la prochaine séance du CPP, surtout pas celui, en anglais, sur le « Cancer Bronchique Non à Petites Cellules (CBNPC) avancé avec altération de type saut de l’exon 14 de MET MOMENT », pas un roman non plus, depuis l’accident qui m’a tuée, si j’ai repris des tâches universitaires, qui ne demandent que de la technique et de l’application, je n’arrive plus à créer, je me suis tout de même retrouvée dans la lune, au milieu des entrailles de l’Arena.

Nous étions deux sur cette lune, devant les loges incompréhensiblement fermées à l’heure de l’essayage. On est peut-être en avance. Non, il est presque midi. Tu as ton planning ? Ensemble, nous avons tiré nos téléphones et cherché les plannings. Forcément, on a le même. Le plus incroyable est qu’on ait regardé chacun celui de l’autre, tellement on était étonnés. Il a ri le premier. C’était beau, ce rire soyeux qui s’envolait sous les voûtes obscures de l’étage des lions. Non, a-t-il dit, les lions c’est dessous. Tu veux dire, « c’était » ou tu les entends rugir encore ?

L’essayage, c’est dans deux jours.

Sans l’essayage, nous étions très en avance pour la répétition au théâtre. Un restaurant nous tendait les bras, mais il n’a pas résisté à retourner à l’hôtel dans la fournaise, pour revoir les récitatifs qu’il ne chante pas d’habitude, pendant que j’attendais son retour, avalant son dessert et le mien, sans parler des cafés.

Au théâtre, Micaela arrive après lui, mais de Carmen point. Elle viendra peut-être demain, si elle guérie. De qui ? On ne sait.

Je photographie avec mes deux appareils lorsqu’une soudaine pensée m’arrête. Il me faudra combien de temps pour copier les photos sur l’ordi, les classer, les trier, me décider à choisir celles que je supporte de montrer, alors qu’il a un Facebook dévorateur d’images comme le dragon de Trebizonde que Pisanello a montré dans sa fresque de l’église Sant’Anastasia, à deux pas de la place des Seigneurs. Un appareil en bandoulière, un autre accroché au poignet par la dragonne, je sors le téléphone, ce suspect qui prétend photographier aussi. Je n’ai jamais photographié avec ça, je cours au désastre, au moins, j’aurai essayé.

Pendant la deuxième partie de la répétition, après la pause, il évoque son Canio de l’année dernière et raconte aussi qu’il a chanté la mise en scène de Zeffirelli, avec Zeffirelli vivant. Le remplaçant du metteur en scène écarquille les yeux. Un de mes appareils aussi.

Au café, place Bra, il veut voir des images que je n’ai pas vues moi-même. Jamais personne n’a regardé dans mon téléphone. C’est interdit. Pendant qu’on nous apporte les chinottos, je dis « non » fermement – alors que l’objet inanimé dont Lamartine se demandait s’il n’avait pas une âme (il en a une, la preuve) a décidé de passer de ma main dans la sienne, je jure que je n’y suis pour rien. Ce sont mes photos, mais c’est son image. Son image faite par moi. Même si je la rate, c’est la mienne. Mais c’est lui.

Pendant que j’observe le pianotement de ses doigts, intriguée par une manœuvre inconnue de moi, en quelques secondes, souriant, rieur, moqueur, il embarque mon téléphone sur le sien, un clic, soixante photos. Il m’aurait fallu soixante fois plus de temps, pour les envoyer l’une après l’autre, il était d’ailleurs formellement exclu que je lui donne une telle avalanche, trois ou quatre, cinq peut-être, les autres, corbeille. Il est radieux. Il est à craindre que moi aussi. Comment avouer à quel point je m’amuse de le voir s’amuser ?

Le soir de la première répétition est tombé place Bra.

Il y aura un autre soir, un autre encore dans cet été de la musique où les Arènes ne s’endorment pas.

Maintenant tout est noir. La nuit enserre Vérone de ses mystères et le matin est loin encore. La ville est à moi. La place aux Herbes, d’où toute camelote a disparu, où l’enfilade des restaurants à tirés les rideaux, retrouve sa splendeur première, redevient l’antique Forum, avec la jonchée de ses monuments, le « Capitello » tribune de marbre d’où la République signifiait ses  jugements, le tabernacle ogival, la colonne de marbre où se dresse le lion de Venise, la fontaine de la Vierge de Vérone.

JOUR 2

Le lendemain, lundi et pas dimanche, la faute aux plannings qui zappent les jours, le soleil s’est levé sur l’Adige à l’heure où les rêves s’incarnent, où dans Vérone vide, ressurgit le passé à chaque carrefour ; l’histoire de bouscule ici; sous chaque arcade obscure chevauchent des chevaliers, des spadassins ferraillent, des traitres assassinent, une histoire qui dure depuis les Romains aux arènes sanglantes, en 89 avant Jésus-Christ. Impavide, Vérone voit passer les conquérants, les gobe et reste souveraine ; ils défilent pourtant, Théodoric en fait sa capitale, se succèdent ensuite Albin le Lombard, Pépin le fils de Charlemagne, Barberousse, le combat entre guelfes et gibelins fait rage, le féroce Eccelino da Romano est abattu en 1259, les Scaligeri s’entretuent, les Pâques véronaises font un massacre des Français, comme une plaque apposées sur un mur le rappelle au passant. Intégrée dans la République cisalpine, Vérone redevient autrichienne en 1815 et italienne enfin en 1866.

En face des souverains de l’éphémère, la cohorte innombrables des artistes qui ont fait de l’Italie le plus somptueux pays du monde créant l’éternité à la mesure humaine faisant ici de chaque église un musée, de chaque pierre une architecture  immortelle.

L’eau de l’Adige blanchit sous les premiers rayons, les cafés n’ouvrent pas encore. Un chien tire un passant en laisse.

La seconde répétition c’est tout à l’heure, en début d’après-midi. Il faut rentrer dormir. À l’hôtel, j’ai une machine à café. C’est peut-être la même qu’à Buenos Aires où Marinelle m’a appris le fonctionnement, elle m’aurait appris aussi le téléphone, mais son travail d’agent d’un des plus grands chanteurs au monde l’absorbait jour et nuit.

Carmen est là, pour la répétition, on a su hier soir qu’elle viendrait. Elle porte un masque.

Avec deux appareils et le téléphone, je ne m’en sortais pas hier. Je n’ai emporté qu’un petit appareil et l’autre, l’intrus, le scandaleux, le téléphone à lui fabriquer des images pour son Facebook.

Il a dit de ne pas faire de zoom avec le téléphone, qu’ils étaient flous, que je devais m’approcher. Il me propose de m’approcher. Je n’ai pas l’habitude. À l’Opéra les photographes nous avons une place, il est interdit de bouger, à Paris en tout cas, les objectifs le font pour nous. De vrais appareils, je n’en aurai plus. Quand la voiture m’a foncé dessus, j’ai envoyé les mains en avant pour l’arrêter. Je ne peux plus rien tenir de lourd surtout pas pendant des heures. J’ai changé mon matériel. M’approcher ? Je peux, puisqu’il m’y invite, et ne peux pas. Je voudrais être invisible, au contraire. Je suis incapable de lui tourner autour comme une mygale qui va démanteler sa proie ni passer devant les autres personnes comme si elles n’existaient pas. Je me suis approchée un peu. S’il y a une autre fois, j’essaierai de mieux réduire entre nous cet espace de respiration et de liberté, sans rien violer de l’essentiel, mon éthique.

À la pause, au café, je continue mon reportage téléphonique. Comme le mois dernier à Buenos Aires, l’atmosphère est chaleureuse, généreuse, la lumière passe entre nous tous, sans un écran pour la difformer. Tout est fluide et simple. Nous ne sommes que courtoisie et respect les uns pour les autres. C’est exquis. Le pianiste, intéressé par mon métier d’écrivain, me dit en montrant leur groupe que je téléphotographie : « Et vous ? » Roberto, qui l’a entendu a vers moi ce geste généreux qu’on lui connaît, il ouvre le bras, je m’installe dessous et le pianiste me prend avec le groupe. Notre ténor veut trinquer avec les tasses, je n’ai plus de main pour en prendre une, je trinque avec un appareil.

Pendant toute la répétition, j’actionne un appareil et le téléphone. Ce jour-là, il a rencontré beaucoup de monde, c’était très amusant et joyeux, je pourrais faire un article poeple si j’aimais ça. Et même j’ai été photographiée avec eux.

Le soir, il se produit, ce qui m’est arrivé trop souvent depuis le début de mon travail avec lui.

Elles ne sont pas les seules, mais les machines non plus ne supportent pas que je travaille avec lui et, elles aussi, me font croc-en-jambe sur croc-en-jambe. Je me relève chaque fois.

Voilà le désastre véronais : les vidéos de la seconde répétition sont bloquées dans l’appareil. Elles n’ont pas disparu, mais refusent d’être recopiées. Je les vois sur le petit écran de l’appareil photo, c’est tout ce qu’elles consentent à  m’accorder.

Depuis des années, des incidents semblables m’ont valu des nuits de cauchemar à essayer de résoudre des problèmes insolubles pour moi. Il ne pouvait pas croire ce qui arrivait, c’est évident. D’autant qu’il est vrai que je ne veux pas tout lui donner, je ne l’ai jamais caché. En réalité, je lui donne ce qu’il veut, quand je peux. En théorie, je veux rester maître de mon travail. Je souffre de le voir manipulé par d’autres, sans savoir ce qu’il devient. Je fais des choses secrètes qui n’intéressent que moi. Bien que déchirée entre deux désirs, je lui ai donné beaucoup de choses uniques dont j’ai l’impression qu’elles sont tombées dans un trou. En attendant, à cause de mon désir de travailler autrement que sur les réseaux sociaux et à mon rythme, qui n’est pas rapide, il a pu supposer que je mentais, que j’étais hypocrite et méchante lorsque je lui affirmais que j’avais passé la nuit entière à regarder tourner l’ordi sans parvenir à lui envoyer un fichier.

Pourtant, bien que fâché, il m’a permis de continuer.

J’aurais pu croire qu’il manquait de bonté et m’enfuir.
Pourtant, je me suis obstinée, certaine qu’il comprendrait un jour.

Pourquoi, il ne m’a pas jetée, je ne sais.

Pourquoi je n’ai pas pu partir, bien qu’ayant essayé après la sortie de « Quatre saisons avec Roberto Alagna », j’ai trouvé.

Sur les quarante livres que j’ai publiés, il en occupe deux.

C’est une aventure si extraordinaire d’avoir devant soi le personnage d’un de ses propres romans, que je ne trouve pas dans l’histoire de la littérature d’écrivain qui ait résisté à cette attraction. Alors, comment le pourrais-je ?

JOUR 3

Avant les essayages, cette fois c’est le bon jour, la nuit dissipe les ombres qui hantent le Palazzo della Ragione, piazza dei Signori. Dans la cour monumentale, ouverte jour et nuit, le génie des architectes italiens a su accorder un escalier charmant du XV ème siècle accolé à la superbe austérité du palais moyenâgeux flanquée d’une tour. Il y en avait 400 à Vérone, dit-on.  En sortant sur la droite se dressent les orgueilleux tombeaux des Scaligieri.

Dans  «  le Voyage du Condottiere » d’André Suarès, on lit :

«  Via Mazzanti et Volto Barbaro les deux rues finissent en cul-de-sac, l’une dans l’autre. Et une voûte donne sur la place des Seigneurs. Quel coupe-gorge magnifique entre le marché du peuple, ce bétail herbivore, et le repaire des carnassiers. C’est là que les Scaliger règnent, et le plus souvent qu’ils meurent sous l’hallali de la Trahison, la plupart de ces dogues. Le Mâtin Second y poignarde de sa main, son cousin l’évêque. Cansignorio, pour être prince, plonge son épée jusqu’à la garde dans le dos de son frère aîné ; et, lui-même, plus tard, ruiné par la luxure et le vin, se voyant mourir, il console son agonie en faisant étrangler son cadet qui pourrissait en prison. Ils meurent tous avant quarante ans. L’arcade est là, toujours la même… »

Quel rapport entre mes rêves de la nuit, l’Histoire, l’histoire de l’art et ce que nous allons faire aujourd’hui ?

C’est l’évidence. Dans le monde que je trouve cruel, le ténor Roberto Alagna me un donne accès direct et imprévu, à l’univers romanesque et artistique sans lequel je ne peux pas respirer.

On accède aux loges par un escalier de fer qui donne sur un couloir très étroit où s’ouvrent les portes coulissantes (elles n’auraient pas la place de s’ouvrir autrement) peintes en rouges. Les loges sont minuscules, les costumes accrochés au mur. Ils sont beaux, pesants, lourds, taillés dans des tissus épais en laine, en grosses étoffes comme si nous n’étions pas ici dans le monde de l’illusion et si on ne pouvait pas leur en faire dans des tissu mieux adaptées à la température. Il ne se plaint de rien, il est content. Il ne fait pas plus de quarante degrés.

Il essaie en ruisselant, sourit sous le képi, se change, tourne sur lui-même pour entourer l’écharpe rouge de contrebandier dans les montagnes autour de sa taille, je m’étais promis de compter les tours, j’ai oublié. Une fois il l’a enroulée sous le gilet, une fois dessus. Il a des paires de bottes superbes. Le pantalon dans les bottes, la chemise, magnifique, bien épaisse, le gilet brodé, la veste lourde, belle, à pompons et une cape jusque par terre.

Il a des mots gentils pour tout le monde.

C’est la troisième fois que le jour est plus beau, plus riche et plus fécond que les rêves de la nuit.

Tu ne pourrais pas rembobiner, Maestro ?

JOUR 4

La veille du spectacle, le 20 juillet 2022, jour de repos, signifie pour lui pas de travail d’équipe et, sans les autres, travailler plus que jamais avec des repas qui, pour être bons, n’en ont pas moins un but unique, préparer son corps à l’exploit. Même les chanteuses longilignes possèdent cette musculature de championne olympique, nécessité professionnelle.

Il y a une table torride à l’ombre d’un parasol, sur la table, une partition aux passages surlignés, ouverte, un téléphone avec les touches d’un piano, une main dont les doigts font résonner les touches, une voix qui chantonne, un autre téléphone, endormi, paresseux, ignorant, un MacBook air, ouvert, une autre paire de mains qui forment des mots au lieu de notes, deux paires de lunettes, deux cafés aux rives emmoussées, une nature morte. Sauf qu’elle vit. Une partition, un texte, un résumé du trésor incorruptible de l’âme, Goethe appelait ces rencontres de l’ineffable, les affinités électives, on n’a rien trouvé de mieux.

Demain soir, il sera don José.

Dans dix jours, encore une fois.  

Par le fleuve du temps disjoints, s’oublieront des choses de la vie, – pas le temps partagé autour d’une table dans la ruelle des Seigneurs.

On a droit encore à ce jour tout entier qu’il va prolonger dans la nuit avec sa partition et moi dans les rues vides à la recherche d’autres éternités.

LES DEUX DON JOSÉ DE ROBERTO ALAGNA

LES 21 et 31 JUILLET 2022

Les productions signées Zeffirelli enthousiasment les foules par leur facture classique et éclatante au service de l’auteur, du compositeur, des solistes, du public, la maîtrise du sujet, l’art de faire se mouvoir des masses sur scène, jusqu’à quatre cents personnes sur le plateau dit-on pour « Carmen », d’oser deux entrées de don José à cheval, sans parler de cavaliers professionnels et des danseurs d’une des meilleures compagnies espagnoles qui, comme le feu d’artifice de « La Traviata » (mise en scène Zeffirelli) donnée la veille avec Vittorio Grigolo et Ludovic Tézier, provoque un élan joyeux dans les gradins. Sous la direction de Marco Armiliato la « Carmen » de l’Arena s’affirme comme un spectacle de référence, tel que l’a été celui d’Orange.

C’est un regret que Ludovic Tézier n’ait pas été, comme à Orange, Escamillo affrontant Alagna, lui qui, la veille, incarnait le père Germont et si Béatrice Uria-Monzon a fait ses adieux au rôle, c’est un autre regret de savoir qu’Elīna Garanča est la Carmen d’autres don José – de sorte qu’en dépit des quatre cents choristes et figurants, Roberto Alagna se trouve très seul sur scène, même si Micaela (Maria Teresa Leva), avec son côté rétro de gentille petite villageoise, ne s’en tire pas si mal.

Emporté par le spectacle hollywoodien, le chef, l’orchestre, les chœurs, les figurants, l’harmonie des couleurs, la beauté des décors, le public n’a pas souffert du manque d’homogénéité du casting – et s’est laissé enflammer par le  don José d’Alagna à  qui l’Arena de Vérone donnait un aussi riche écrin.

 Par les deux don José de Roberto Alagna.

 Au lieu de l’effacer, plus le temps passe, plus la différence entre les deux se fait évidente. Comme Alagna connaît le roman de Prosper Mérimée aussi bien que les partitions de « Carmen » données depuis la création, ses deux don José sont justes, si différents qu’ils puissent être.

La jeunesse impétueuse du premier, les désirs qui l’entrainent d’un amour solide, béni par sa mère, aux désastreuses folies qui l’écartèlent entre ses devoirs et « l’infamie » ont un si puissant éclat que le public, emporté, a réclamé un bis (Alagna n’en donne jamais, on l’a espéré tout de même) pour l’air de la Fleur où l’émotion vibrait jusqu’aux étoiles. Bien que brûlé au feu de désirs ravageurs, dans ce José, l’espoir anéanti est toujours renaissant jusqu’à la fin (espoir d’épouser Micaela, de se rendre à l’appel, de renoncer à être un brigand, de sauver Carmen et de se sauver avec elle).

Sur sa seconde incarnation, Alagna fait peser le poids d’une fatalité à laquelle son héros sait qu’il ne peut échapper. D’inquiétant qu’il était, le mot « sorcière » se change en brûlot. Le duo avec Micaela, fait jaillir un espoir qui n’est qu’illusion et se nourrit davantage de l’amour pour sa mère que de celui pour sa fiancée. S’il décide néanmoins (et il est sincère) de rejeter Carmen, dès ce moment, il sait qu’une flamme obscure s’élance vers lui, dévoratrice de son avenir.

Le premier José avait vraiment le désir de rejoindre son régiment, son « adieu pour jamais » semblait assurer son salut. Le second est plus ambigu. Il sait qu’il devait rompre avant la danse, s’enfuir, que chaque instant donné à la volupté rive sa chaîne. Lorsqu’à peine libéré de prison, il court chez sa maîtresse au lieu de se rendre tout droit au « quartier pour l’appel », il s’illusionne à peine,  même sans l’irruption d’un officier de son régiment, n’importe quel prétexte l’aurait conduit dans la montagne. Il le sait. Ce n’était pas le cas du premier don José.

Les deux incarnations d’Alagna savent que Carmen « sorcière » , « femme damnée », « démon » au final, est l’image de la perdition à laquelle il ne peut échapper jusqu’à la fin où il s’illusionne complètement, prétend la convertir, la sauver, se sauver avec elle, alors que ce qu’il veut, c’est le contraire. Il lui offre un marché insensé : pour sauver leurs âmes, il accepte de rester brigand (c’est-à-dire de continuer à perdre la sienne). Il veut lui donner « tout, tu m’entends, tout ». Comme elle n’a plus rien pour lui,  c’est la marche au supplice, interrompue un instant, lorsqu’il s’arrête et se signe devant le crucifix dressé sur la place. Le signe de la Croix est le geste de tout chrétien en ces temps. On raconte que l’empereur Julien l’Apostat, après avoir violemment attaqué le christianisme dans « Contre les Galiléens » aujourd’hui appelé « Défense du paganisme » (331-363), malgré lui, faisait le signe de Croix. À l’époque de « Carmen », dans l’Espagne très chrétienne, c’est un automatisme habituel et l’indication que don José n’a pas perdu la notion du bien et du mal, des valeurs chrétiennes traditionnelles héritées de sa mère.

Les deux José d’Alagna se signent.

Le premier passe son chemin après un bref arrêt. Comme tout bon chrétien, lui qui a cessé d’être bon et chrétien.

Le second fait bien autre chose.

Il s’immobilise devant la Croix, s’agenouille et les doigts croisés contre sa poitrine, le buste incliné, prie avec une ferveur passionnée. Pas difficile de deviner qu’il demande à Dieu l’impossible. Incapable de décider comme un homme, cet éternel enfant, victime de sa faiblesse, réclame à la fois le salut de son âme et posséder Carmen, sa perdition. Contrairement au premier, le second José,  sait qu’il ne peut avoir les deux et qu’ils sont tous les deux perdus.

Ainsi commence cette fin désespérée à laquelle jamais Roberto Alagna ne se lassera de donner les accents ardents de cet éternel chant d’amour et de mort qui, passé du roman à la scène de l’Opéra, émeut les foules depuis des générations et continuera tant que l’être humain voudra regarder jusqu’au fond de son cœur.

© Jacqueline Dauxois

Chef d’oeuvre au Met, la « Tosca » avec Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna

Chapitre 1

REPÉTITION GÉNÉRALE, SITZPROBE, lE 26 FÉVRIER 2022

UN LIVRE ET UNE GÉNÉRALE

Le 24, mes « Nouvelles d’un monde cruel » sortaient en librairie, à Paris.

Le lendemain, je pouvais faire ce que font certains, courir les librairies, demander s’ils ont le livre et vont le mettre en place. Je ne le faisais pas dans ma jeunesse, ce n’est pas pour commencer aujourd’hui, d’autant qu’il faut un certain temps avant que quelque chose arrive ou n’arrive pas.

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Au Metropolitan, la « Tosca » d’Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna

Chapitre 1

REPÉTITION GÉNÉRALE, SITZPROBE, lE 26 FÉVRIER 2022

UN LIVRE ET UNE GÉNÉRALE

Le 24, mes « Nouvelles d’un monde cruel » sortaient en librairie, à Paris.

Le lendemain, je pouvais faire ce que font certains, courir les librairies, demander s’ils ont le livre et vont le mettre en place. Je ne le faisais pas dans ma jeunesse, ce n’est pas pour commencer aujourd’hui, d’autant qu’il faut un certain temps avant que quelque chose arrive ou n’arrive pas.

Personne ne s’attendait à une réponse favorable, lorsque j’ai demandé au Met d’assister aux répétitions de « Tosca », comme avant, elle est venue par retour. Dans les studios, c’était impossible à cause de la Covid. À la générale fermée du 26 février 2022, il n’y aurait ni photographe ni journaliste, est ce que je voulais y assister et prendre des photos, seule dans la salle? J’ai relu plusieurs fois la réponse du Met.

Le 25, lendemain de la sortie de mon livre à Paris, j’étais dans l’avion.
La météo annonçait des chutes de neige et le 26 – 10° centigrades à New York et se trompait comme souvent. Ciel radieux et le soir, de mes fenêtres, les nuages ont enflammé dans le couchant les tours qui, au loin, cernent le Metropolitan Opera.

SITZPROBE DU 26 FÉVRIER 2022

Le lendemain, 26 février 2022, unique répétition générale, sitzprobe, les solistes assis devant leurs pupitres sans décors ni costumes devant une salle vide.

Plus que pendant une générale traditionnelle, on plonge avec ce type de répétition dans l’avant du spectacle. Maquillage, costumes, décors et éclairages peuvent apporter du plaisir esthétique, mais là, on rencontre parfois une vérité qui n’a besoin de rien d’autre.

ROBERTO ALAGNA OU L’ACHÈVEMENT DE L’INACHEVÉ

Roberto Alagna donnait à voir le cœur battant de Mario, son âme dépouillée jusqu’à l’abime, dans ses résonances les plus mystérieuses pour trouver la perfection d’un achèvement pourtant inachevé.

« E lucevan le stelle » a été un moment de grâce absolue, d’une incomparable beauté.

Les éclairages ne changent pas, c’est lui qui change, différent à chaque scène et parfois à l’intérieur même d’une scène.

 

ALEKSANDRA KURZAK ET SA PREMIÈRE TOSCA

Aleksandra Kurzak va donner sa première Tosca. Sans révéler totalement ce qu’elle sera au soir de la première, on a vu déjà sa marque de fabrique. Elle devenait comme une partition qui s’incarnait, on pouvait lire la musique sur elle, qui traduisait les accords de l’orchestre comme si elle devenait un fleuve traversé par les notes. Parfois, ses lèvres seules remuaient en silence, parfois sa tête et parfois son corps tout entier. Parfois, Roberto Alagna, qui cependant se tenait à côté d’elle face à la salle s’anime d’un mouvement semblable, très doux suave et lent, et c’était comme la parade de deux danseurs si accordés qu’ils n’ont plus besoin de se regarder pour partager l’amour d’un art qui les unit.

La première, demain.

Chapitre II

ENTRE TOSCA ET LE POINT, ENTRE KURZAK, ALAGNA ET BESSON, MES NOUVELLES

Donc, le 24 février 2022, mes « Nouvelles d’un monde cruel » sortaient en librairie.

Le 26, j’assistais à la répétition générale de « Tosca », par un privilège inouï, toute seule admise dans l’auditorium du fabuleux Met.

Je crois que les dernière répétitions auxquelles j’ai pu assister, c’était avant la Covid-19, Roberto Alagna était Rodolphe de « La Bohème » en alternance avec Aleksandra Kurzak, Violetta de « La Traviata », les photographes occupaient au moins deux rangées. J’avais transporté le tripode. Plus trop la force.

La Covid ce n’est pas fini, du moins l’Opéra a rouvert ses portes. Pour les chanteurs, tests sur tests, pour le public, loges interdites ; et la ville, comme Paris, baigne dans une tristesse qui n’est pas le fait de la guerre en Ukraine.

L’épicerie Boulud, à côte de  Fiorello et de Smith, fait face au Metropolitan.

J’y ai ma table puisque l’hôtel, dévasté, n’a plus ni café ni bar ni restaurant ni service d’étage ni blanchisserie, et qu’il faut commencer la journée, pour avoir un café, par mettre le nez dehors. Sinon, je vais dans une salle à manger gigantesque, abandonnée, je dépoussière un petit coin pour l’ordi, mais ils font des rondes et me débusquent. J’ai un peu peur aussi qu’un jour ils m’enferment là-dedans. Il y a deux ans, on y prenait le petit déjeuner. Ils avaient les meilleures crevettes de la planète.

Chez Boulud, ils ont un cheesecake aux cerises ; dans ce pays où tout est grand, elles ont la taille de myrtilles. Pas pensé à le photographier tout de suite et maintenant, j’en ai trop mangé. L’avantage avec ce gâteau c’est que jusqu’au lendemain, j’ai plus faim. L’endroit où ils n’étaient pas si gras a mis la clef sous le paillasson.

Sauf que ça crie fort dans ce café de bon matin, que dehors les travaux défoncent la rue, qu’un choix varié de sirènes américaines me casse les oreilles, je suis bien là.

Je travaille mes photos et mon prochain roman, comme promis à mon éditeur avant de partir, ce qui me donne l’impression d’exister très fort, c’est toujours ça de pris, d’autant qu’une de mes lectrices américaines, qui achète et lit tous mes livres, mais oui ! a fait le voyage d’Oklahoma City avec son mari pour assister à la troisième « Tosca » de Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak.

Les « Nouvelles d’un monde cruel » n’évoquent pas « Tosca », c’était le roman précédent : « Le Mémorial des Anges oubliés » qui racontait comment la voix humaine lorsqu’elle est belle, qu’elle devient irremplaçable, unique, celle de Roberto Alagna, peut devenir un bouclier contre le terrorisme – et les terreurs que véhicule notre monde cruel.

D’une autre manière, je le dis aussi dans les « Nouvelles », qui vont être la semaine prochaine l’objet de la Chronique de Patrick Besson dans « Le Point » – le 17 dans les kiosques.

Depuis deux jours, j’apprends à faire des selfies pour mon éditeur. C’est pas gagné. L’attachée de presse fait des « stories » avec.

Peux pas croire que demain, c’est le dernier jour, la quatrième Tosca et dernière de la série.

Et il faudra partir.

Mais la semaine prochaine dans le Point, la Chronique de Besson sur les Nouvelles d’un monde cruel. A trouver dans les kiosques.

A suivre :

Chapitre III, les quatre « Tosca » de Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak, un chef d’oeuvre au Met

©Jacqueline Dauxois

Le des Grieux de Roberto Alagna, l’enchanteur

17 février 2022, à l’Opéra de Paris.

Après deux annulations dues au Covid à l’orchestre, ce soir, c’est la dernière chance d’entendre Roberto Alagna.

Dans les conditions qu’impose encore la pandémie, si rudes pour les artistes, si désagréables pour le public, on sent flotter l’appréhension d’une annonce de dernier moment qui anéantirait cet espoir.
Il n’y a pas eu d’annonce mauvaise.

Le rideau s’est levé.
Il était là.

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Avec Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna « Madama Butterfly » au Staatsoper Unter den Linden, août/septembre 2021

Avec Aleksandra Kurzak dans le rôle titre et Roberto Alagna, en Pinkerton, le Staatsoper Unter den Linden a donné Madama Butterfly le 29 août, le 1ER et le 4 septembre 2021. Quinze jours plus tôt, à Vérone, Alagna chantait Cav/Pag   avec 40°, à Berlin la température est descendue à 14 et les vendeuses des grands magasins expliquaient qu’il n’y avait pas encore de vêtements chauds à acheter parce que, pour eux, ce n’était pas froid. Ils portaient tout de même des doudounes dans la rue ou alors c’étaient les touristes.

On n’entrait pas au Staatsoper sans montrer passeport et QRcode, la jauge laissait vide un fauteuil sur deux, mais ceux qui avaient pu se procurer une place, à la fin du premier acte, étaient debout pour acclamer, encore plus fort le dernier soir, parce qu’on savait (même si à la sortie, on vous distribuait une pièce d’or en chocolat et si on tombait dans la fête des couleurs et la foule joyeuse), quelle tristesse, le lendemain, s’abattrait, quand il faudrait rentrer, chacun dans son avion ou son auto…

On a reproché à Puccini de n’être pas allé au Japon. Pierre Loti y était allé, ce n’est d’ailleurs pas en lisant son roman, mais la transposition au théâtre, en Angleterre, par un Anglais, qu’il a eu le coup de foudre pour une histoire encore plus passionnante que celle de Turandot, inspirée par une réalité vécue. Qui mieux que Puccini, avec sa vie sentimentale compliquée, pouvait comprendre… l’incompréhension de Pinkerton devant Butterfly, son déchirement entre deux civilisations, sa capacité d’arrangement entre deux femmes ?

En lisant Loti, on touche son bonheur d’écrire, de jeter un morceau de sa vie sur du papier. En écoutant Puccini, on sent tout ce qu’il a mis de passion dans ses recherches, ses visites au British Museum pour se familiariser avec les instruments de musique de la Chine, tout ce qu’il a infusé de sa vie, comme Loti, dans les personnages dont ce prédateur de génie s’empare, qu’il pétrit de sa pâte et récrée avant de les lancer sur scène.

Le 4 septembre 2021, pour servir l’impétueuse intimité de « Madama Butterfly », Puccini avait Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna, deux vaisseaux de haut bord toutes voiles dehors par grand largue pour tendre à craquer les voiles du bateau opéra.

ALEKSANDRA KURZAK ET ROBERTO ALAGNA DANS « MADAMA BUTTERFLY », L’IMPOSSIBLE RENCONTRE DE DEUX CIVILISATION

Il arrive qu’en deux images tout soit dit. Pourquoi en publier davantage alors ?

Hier, deux images de l’acte 1, ont révélé tout « Madama Butterfly », elle et lui et tous les deux ensemble nous ont fait entrer dans l’essence même de la tragédie alors qu’on n’en était qu’à la présentation des « fiancés », pas encore au duo, déjà, toutes les équivoques étaient inscrites sur leurs visages. Lui, Pinkerton, les yeux fermés sur une civilisation – et une femme – qu’il ne peut pas comprendre, il est trop jeune et il vient de trop loin. Elle, Butterfly, au contraire, les yeux grands ouverts sur cet autre monde qu’elle veut découvrir, dans lequel elle voit son salut, mais qui l’inquiète malgré elle ; mais si elle refuse le doute, c’est qu’elle n’a pas le choix, contrairement à lui, et elle va suive sa voie jusqu’à la mort. Chaque image de leur première rencontre éclaire l’équivoque qui éclate dans le duo et le « vieni, vieni » sublime d’attente, de désir, d’impatience retenue d’Alagna.

Même si on ne connaît pas l’histoire, l’entrée de Butterfly est si déchirante qu’on sait déjà qu’elle ne peut que mal finir – aussi mal que devrait finir « Turandot », si Puccini avait pu l’achever.

On peut zapper l’image où Pinkerton déplie le drapeau américain si on se souvient du déploiement extraordinaire du drapeau français dans « Adrienne Lecouvreur », à Monte-Carlo, où, d’un élan, Alagna s’enveloppait dans les trois couleurs. Pas de déploiement ici, un dépliement, comme d’une nappe ou d’un drap. Le seul lyrisme de l’image ne se trouve pas dans la gestuelle, mais dans le visage du chanteur.

ALEKSANDRA KURZAK OU LE PAYSAGE D’UNE ÂME

Le deuxième acte, parfois long pour le spectateur qui attend le retour du ténor, passe vite avec Alelsandra Kurzak. Depuis son entrée du premier acte, avant de la voir (si on avait une place côté cour, elle était d’abord cachée par l’angle d’une cloison, ensuite ses ses suivantes lui passaient devant), alors qu’on entendait s’élever un chant d’une douceur ineffable, à la joie traversée, sinon d’inquiétude, du moins d’un de ces frémissements qui la conduiront à la mort, on attendait tout d’elle. Elle n’a rien laissé échapper de son personnage et révèle une femme dans la profondeur d’un amour indestructible, qui sait être gaie, joueuse, amusante, piquante, un être exquis, une mère aimante, qui n’est qu’attente, espoir et amour, dont la foi culmine avec « un bel di vedremo », dans lequel vibre tout l’amour du monde, où elle annonce un retour auquel personne ne croit plus – ni sa fidèle servante, qui a vu fondre l’argent laissé par l’officier américain ni le consul ni le prestigieux prétendant qu’on lui propose pour la faire échapper à la déchéance et à la misère.
L’arrivée d’un bateau américain la transporte au-delà de l’espoir dans le domaine des certitudes radieuses. Mais celui qu’elle aime, s’il a jamais existé ailleurs que dans son cœur, lui écrit qu’il va se charger, avec sa femme américaine, de l’éducation de l’enfant qu’ils vont emmener avec eux.

Brutalement arrachée, par une insoutenable cruauté, à une illusion à laquelle elle a suspendu sa vie entière, Butterfly se tue avec l’arme qui a servi à son père.

Pendant un acte, Aleksandra Kurzak explore les profondeurs du paysage d’une âme, révèle la diversité des sentiments de Butterfly, la richesse d’un amour immense qui se dédouble en tendresse maternelle et les ineffables mouvements qu’on surprend comme autant de secrets conduisant jusqu’au cœur battant d’un personnage émouvant et tragique dont, par son jeu et la subtilité de sa voix, la chanteuse rend l’universalité évidente – ainsi que le voulait Puccini.

LES MORTELLES RÉVÉLATIONS

Le troisième acte est celui de la double révélation qui conduit à la mort.

Elle découvre que son amour n’était pas partagé.
Lui, au dernier moment, a l’illumination contraire : c’est Butterfly qu’il aime. Cette inversion se lit, mot à mot, note à note sur le visage bouleversant de Roberto Alagna avec d’autant plus de force qu’elle va dans le sens où il a toujours voulu aller, poursuivant le même but que Puccini qui ajoutait le « fiorito asil » pour rendre Pinkerton plus sympathique.

La fin est spectaculaire.

Butterfly, ayant consenti au départ de son enfant, s’est poignardée près de la fosse d’orchestre, le rideau de scène s’écarte, la porte de la maison coulisse au fond livrant le passage à un Pinkerton hagard, dévoré de remords, égaré de douleur, qui s’élance, ayant repoussé sa femme américaine, vers sa femme japonaise qui meurt. Leurs mains tentent de se joindre. Il s’écroule près de Butterfly.

Comment croire qu’elle seule est morte alors qu’il vient de découvrir que l’asile fleuri enfermait un bonheur qu’il ne connaîtra plus jamais ? Il vivra, il survivra, ayant pour se consoler du paradis perdu, ce qu’avait Butterfly avant de se tuer : l’amour de leur enfant. C’est dans ce chassé-croisé dramatique qu’il se retrouvent au-delà de la mort.

Avec une force et une émotion qui se renouvellent pendant trois actes, avec l’accord idéal de leurs voix et de leur jeu, le couple emblématique Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna ne nous parle pas, dans la « Butterfly » de Berlin, de la mort qui sépare, mais de l’amour qui réunit.

©Jacqueline Dauxois

Pour en savoir plus, voir sur mon site :

https://www.jacquelinedauxois.fr/…/aleksandra-kurzak…/(ouvre un nouvel onglet)

https://www.jacquelinedauxois.fr/…/madama-butterfly…/(ouvre un nouvel onglet)

https://www.jacquelinedauxois.fr/…/roberto-alagna…/(ouvre un nouvel onglet)