Elīna Garanča au Théâtre des Champs-Elysées, le 14 octobre 2019

Elīna Garanča a été Dalila à Vienne et New York pendant la saison dernière avec Roberto Alagna dans le rôle de Samson. Pour la saison prochaine, elle reprend le rôle au Staatsoper de Berlin, sous la direction de Daniel Barenboim, elle retrouve le personnage de la princesse Eboli de Don Carlo, qu’elle chantera en Italien pour la première fois au Bayerische Staatsoper, avant de devenir, au Met, la Marguerite de La Damnation de Faust.

Ce soir de concert, l’orage bat le pavé et force les spectateurs à s’entasser dans le hall en attendant l’ouverture de la salle.
Certains, qui ont vu Elīna Garanča dans la version originale en français de Don Carlo à l’Opéra de Paris, se réjouissent d’entendre « La Chanson du voile », « Nel giardin del bello » (II, 2) en concert. Celle qui a incarné plusieurs rôles de travestis, était belle pourtant dans sa tenue blanche d’escrimeuse, une épée à la main. Mais ce n’est pas l’image d’une salle d’armes que souhaite le public lorsqu’on lui raconte une légende des temps anciens dans un jardin de l’Espagne de Philippe II.

Très attendu, ce premier aria du concert a soulevé l’enthousiasme d’un public amoureux de la voix de la chanteuse, qui apprécie aussi l’accord entre les paroles et l’élégance de ses robes, qui donc ayant perçu comme un contre-sens le décor d’une salle d’armes au lieu d’un jardin, s’est réjoui qu’au TCE la beauté fut déclinée sur toute la gamme.

Au dépaysement hispanique de « La Chanson du voile », succède l’air d’Adriana Lecouvreur de Cilea : « Ecco, respiro appena…Io son l’umile ancella ». Après les trilles et vocalises, succède alors la douceur du legato que la mezzo-soprano lance en flots de velours dans cette déclaration d’amour à la Création, où Adriana, diva adulée, se présente comme une humble servante de son art dans un air d’une ineffable poésie.

Retour à Don Carlo avec  : « O don fatale, o don crudel » (III). La princesse Eboli, qui rêvait d’amour et de légendes, déclare sa haine à sa propre beauté, instrument de sa perdition, qu’elle maudit : « Ti maledico, ti maledico, o mia beltà ! »
De céleste, la voix s’enfonce dans le gouffre de déchirements sauvages où la poésie noircit de fureur.

Le dernier bis sera la Habanera de Carmen, mais jusqu’à l’entracte Elīna Garanča n’a rien chanté en français. On le regretterait presque pour « La Chanson du voile » dont l’original français : « Ô jeunes filles, tissez des voiles ! » est supérieur à l’italien : « Ah ! Tessete i veli, vaghe donzelle », où on aurait préféré fanciulle à un donzelle désastreux en français. Pourtant on ne regrette rien, on s’abandonne à l’italien porté par la beauté de la voix.



Après les grands airs d’opéra de la première partie du concert, un extrait des « Mélodies du cœur », « T’estimo » de Grieg, sur des paroles de Hans Christian Andersen, annonce un cycle latino où tous les airs s’enchainent comme s’ils étaient tirés d’une seule zarzuela. Les couplets célébrissimes, qui ont été interprétés par les plus grands, racontent une histoire d’amour triste et passionnée de possession et d’abandon.

A la déclaration romantique de Grieg : « T’estimo és cert i per l’eternitat, Je t’aime, c’est certain pour l’éternité », succède l’appel charnel, chantée par l’amant sous le balcon de sa belle aux cheveux noirs, et la belle qui se répète les mots brûlants de son amant, échappe à la surveillance de la maman dans le morceau suivant, la « Musique interdite » de Gastaldon : « Fammi provar l’ebrezza dell’amor, Fais-moi sentir l’ivresse de l’amour » qui fut chanté par Caruso.

Le disque de Caruso.

Ce sera peut-être l’un des titres enregistrés par Roberto Alagna pour son disque « Caruso 1873 » qui sort le 8 novembre 2019, qui sait ?

En attendant, ci-dessous le lien pour écouter Caruso :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k128681v/f1.media

D’un air à l’autre, l’histoire d’amour initiée avec Grieg continue de se dérouler pendant toute le seconde partie du concert.
Dans « Lela » de Mato Hermida, l’amant meurt d’être quitté. Privé de celle qu’il aime, il ne peut pas vivre : « Sen ti non podo vivir. »
Mais l’espoir d’être aimé, si puissant, dans le tango d’amour de Gardel : « El Dia que me quieras, le jour où tu m’aimeras » ranime momentanément l’amant abandonné qui se sent mourir, et vivra peut-être centenaire, s’il ne meurt pas pour de bon à la fin.
Lorsque cet espoir a fini de flamber, l’amant a compris qu’elle est cruelle, et malgré tout, il la supplie en vain dans La Tabernera del puerto, La Taverne du port » de Sorozàbal (Air de Léandre II). Désespéré, le malheureux déclare : « No puede ser ! ce n’est pas possible ! ». Il refuse de croire que celle qu’il aime est méchante parce que sans elle il ne peut pas vivre ! « Porque no sé vivir ».

Ainsi les airs des pages vocales de la seconde partie, alors qu’ils sont extraits d’œuvres différentes, forment une histoire et la voix radieuse d’
Elīna Garanča s’empare avec allégresse de certains airs chantés par des voix hommes.
Dirigé par Karel Mark Chichon, le Deutsche Staatphilarmonie Rheinland-Pfalz, qui s’enthousiasme dans les pages philharmoniques, s’harmonise avec l’élégance vocale d’Elīna Garanča, ses élans de lumière et ses raffinements stylistiques jusqu’à la flamboyante Habanera de Carmen avec laquelle elle termine sous les ovations avant d’aller signer ses disques, avec Karel Mark Chichon.

Photos ci-dessus : Elīna Garanča et le chef Karel Mark Chichon, son mari, signent le disque « Meditation »(Deutsche Grammophon) et les programmes.

Sur Samson et Dalila :

http://www.jacquelinedauxois.fr/2018/05/22/roberto-alagna-e…e-le-12-mai-2018/

http://www.jacquelinedauxois.fr/2018/05/12/roberto-alagna-e…lila-vienne-2018/

http://www.jacquelinedauxois.fr/2018/05/17/samson-et-dalila…t-lemaire-acte-i/

http://www.jacquelinedauxois.fr/2018/04/26/samson-et-dalila…au-livret-dopera/

© Jacqueline Dauxois

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