Astérix, Opéras et Coronavirus

COVID-19

Samedi 14 mars 2020, midi, aéroport de Nice.
Dans la salle d’embarquement du Terminal 2, les bottes d’une femme résonnent comme un bruitage de cinéma. Jamais, dans le vacarme habituel, on n’entend le bruit d’une paire de bottes dans un aéroport.
Les boutiques sont vides, les vendeuses les bras croisés, toutes les places libres pour s’asseoir où on veut au lieu de chercher un bout de siège où se poser.
Qu’est-il arrivé ?
La peur.


Une hôtesse, qu’on entend distinctement à deux mètres dans le silence étrange qui s’est emparé des lieux, raconte à sa copine qu’hier soir des clients en sont venus aux mains dans un supermarché, ils se sont battus pour des pâtes Pazani. C’est pourtant pas pour les œufs frais qu’elles contiennent !
Dans la Stampa de la veille, un médecin milanais déclarait : « C’est la guerre! »
Est-ce la guerre ?

Ci-dessus : l’aéroport de Nice, le 14 mars de l’an Coronavirus à midi.

Seule la voix des annonces pour les retardataires des vols pour Clavi et Lisbonne vous casse toujours les oreilles, à l’identique depuis des années, un affreux son qui grince, jamais ils n’auront l’idée de régler les micros.
Les bottes sont japonaises et les Japonaises masquées. Sinon, personne n’en porte, en France on n’en a pas, on les a vendus aux Chinois, bonne affaire, le personnel d’Air France n’en porte pas non plus, ni masques ni gants.

Bien sûr, c’est perturbant de penser que dans quelques jours ce sera le moment réserver des places pour Fedora (La Scala, juin 2020) alors que le théâtre est actuellement fermé, que l’Opéra de Paris vient d’en faire autant suivi de peu par le Met.
Perturbant et encourageant.
Comme si on était déjà de l’autre côté de la pandémie.

BULLE SUR BULLE

Il y a trois semaines à Vienne, à la veille de la première répétition de Turandot, le 23 février donc, Aleksandra Kurzak devait donner un récital à la Scala. Elle a fait demi tour à l’aéroport : l’Opéra venait de fermer. Au lieu de l’imaginer faisant demi-tour, c’est mieux de la revoir dans cette Traviata de New York, où elle a resplendi si fort, au début de l’année quand le Met bourdonnait de vie, qu’elle répétait dans l’auditorium en même temps que Roberto dans le studio.

Dans Vienne, où rien ne semble avoir changé depuis des siècles, il était difficile de s’interroger sur ce que serait la suite de cette épidémie pas encore promue pandémie, d’ailleurs personne n’imaginait l’Italie confinée, la Lombardie aux rues désertes et que, quelques jours après la dernière Turandot d’Alagna (9 mars), le 14, l’Autriche suspendrait ses relations aériennes avec la France, l’Espagne et la Suisse.

Pourtant déjà, la réception de l’hôtel annulait des réservations à une époque où d’habitude elle fait le plein – il y a eu une alerte à Vienne, pendant les répétitions de Turandot, un quartier bouclé pendant une journée. Mais en ce début de Carême, les églises étaient bondées. À Saint-Stephan, la cathédrale, la messe du Mercredi des Cendres attirait une foule. L’archevêque célébrait, une chorale chantait et lorsque la foule reprenait en chœur, c’était juste. Personne n’avait peur ni ne portait de masque. Le jeune homme inconnu à côté de moi me faisait suivre la musique sur son feuillet.

Ci-dessus : la cathédrale Saint-Stéphan.

Vienne est une ville qui semble hors du monde et la magie des répétitions est telle, surtout quand elles se déroulent en studio, qu’on était emporté dans cet univers imaginaire qu’on a parfois tant de mal à quitter. La maladie semblait tellement lointaine. Le studio Kleiber, où Roberto Alagna a répété tant d’opéras, était une bulle, comme déjà d’habitude, je suis souvent dans la mienne, c’était bulle sur bulle.

Le coronavirus avançait à grands pas, rebaptisé Covid-19.
En France, les interdictions ont commencé de pleuvoir, les rassemblements ont été interdits par paliers. Demain peut-être, il sera interdit de se promener. L’Opéra de Paris a annoncé qu’il fermait. Le TCE a résisté aussi longtemps que le Met, chacun à sa façon. Le Met annonçait que dans, son souci de la santé des spectateurs, la salle et les coulisses étaient désinfectés, ce qui n’est pas possible évidemment, du moins pas efficacement, que quiconque se sentait malade serait remboursé sans discussion, le TCE laissait entrer la quantité de spectateurs autorisée, et remboursait les autres.

Pendant les répétitions de Roberto Alagna au Staasoper, il n’était pas possible de penser à autre chose qu’à son Calaf.
Ses camarades faisaient des selfies avec lui, virus on connaissait pas ! aujourd’hui on resterait à 6 mètres de lui.
Avant la Première, à l’entrée des artistes, il signait des piles de photos.

PARIS

Après un vol dans un avion assez vide pour qu’on choisisse sa place sans s’occuper de celle prévue par la carte d’embarquement, le samedi 14 mars, à Montmartre, le soir, même si on était bien loin des foules habituelles, les terrasses qui étaient encore ouvertes, étaient remplies.
Mais aucune musique ne montait de la rue, ni jazz ni accordéon. Ce silence…

Un bistrot fermé, les chaises empilées derrière les vitres.

Le lendemain dimanche matin, tous les cafés et restaurant fermés, les gens faisaient la queue devant la boulangerie, dehors, rangés comme des pions chacun à un mètre de l’autre. Un client en short faisait sa gymnastique en attendant son tour, et gagnait ainsi deux mètres de vide supplémentaire, ses voisins ayant moins peur du virus que d’un éborgnement immédiat. L’après-midi, le rues étaient presque désertes, le jardin du Sacré-Cœur, ouvert, n’attirait pas les foules qui se pressent d’habitude ua coude à coude surles pelouses et sur les escaliers. Mais dans les rues qui tortillent, le petit train qui promène les touristes circulait, bondé.
On me disait que tout le monde fuyait, pourquoi je n’étais pas restée où j’étais? Pourquoi? Sais pas. Pour mes livres et mes DVD. J’en ai aussi là-bas, mais c’est plutôt une biblio-discothèque de famille que la mienne. D’ailleurs tout le monde n’a pas fui, mes voisins de palier, les écrivains Anne-Sophie Stefanini et Patrick Besson, sont restés. Et ma maison d’édition est au bas de la rue, enfin, au bas de plusieurs rues, en face de la fontaine Molière, un peu plus bas que la vieille BN et l’immeuble où Stendhal habitait. Rester ou repartir, je ne sais pas. Si cela devient interdit de descendre dans la rue, j’essaierai de m’en aller.

HÉROS D’OPÉRA ET SPAGHETTIS PANZANI

Même pour nous, qui croyons que nous sommes des dieux et que la planète est un village, les grandes épidémies sont terrorisantes. La peste noire et le choléra laissaient à peine quelques survivants. Il n’y avait plus personne pour ensevelir les morts. On tremble. On a peut-être raison. On ne sait pas. Mais faut-il trembler jusqu’à la sottise ? Un paquet de spaghettis de plus ou de moins, ça va changer quoi, si on doit mourir ? Je sais, il n’était pas pour vous, ce paquet, vous vous enlèveriez la nourriture de la bouche pour la donner à votre maman ou à vos enfants, mais… si on arrivait à rester nobles ? Si on mourait sans bassesse et sans lâcheté ?

Alagna, dans son premier Otello, Orange, 2014.

Si on prenait modèle sur les héros d’Opéras?
Les shakespeariens, Juliette, Roméo, Otello, sublimes, les autres aussi, Mario sait que Scarpia ne l’épargnera pas, que les balles ne sont pas chargées à blanc et Tosca, quand elle comprend enfin, se jette dans le vide, il y a de quoi faire tout un article (plusieurs en fait) pour démontrer que seul l’amour, s’il ne décourage pas la mort, la transcende en tout cas sur les planches, alors pourquoi pas dans un supermarché aussi, avec des pâtes à la main ? Des pâtes peuvent avoir, sinon la beauté d’une épée, malgré tout quelque chose d’intéressant : Tu veux mes pâtes, prends-les, je te les donne ! Les pâtes données, tous les deux, celui a donné et celui qui a pris, tournent au coin de la gondole vide du supermarché et ils s’écroulent morts, le paquet crevé entre eux laissant s’éparpiller les pâtes. On ne peut pas atteindre avec des spaghettis à une grandeur opératique, mais on peut éviter le pire : le vulgaire.
Faut-il relire Defoë (Journal de l’année de la peste), Giono (le Hussard bleu), Christiane Singer (la Mort Viennoise) et tant d’autres, c’est la grande question du moment, en attendant de l’avoir résolue, si on jouait la carte de l’humour ?

ASTÉRIX ET CORONAVIRUS

Le coronavirus est dans Astérix ! Dans une BD de la nouvelle série de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad qui ont continué après Uderzo et Goscinny, voilà pourquoi l’information a échappé à plusieurs. En 2017, ils ont publié Astérix et la Transitalique, où Coronavirus occupe une place de choix. Coronavirus est un Romain méchant, très méchant, qui conduit un char, le visage masqué. En somme, très ressemblant à celui qui nous empoisonne la vie.

Dans « Astérix et la Transitalique », Coronavirus, le champion des méchants Romains, dispute une course de chars contre les Gaulois, le visage entièrement caché par un casque intégral.

Et si on était sérieux ?
Difficile, le discours officiel, même débité avec un tremblement ému, prête à rire. Comment s’en empêcher quand, après avoir interdit les spectacles, supprimé les offices religieux, fermé les crèches, les écoles, les universités, les cafés, les restaurants et tous les magasins sauf ceux de vivres et de médicaments, tellement ce virus est dangereux, vicieux, meurtrier, on déclare que dimanche 15 mars, aujourd’hui donc, le virus se tiendra à distance des bureaux de vote et que si vous apportez votre propre stylo, à condition qu’il écrive bleu ou noir, ni paillettes ni fantaisie, vous n’avez rien à redouter du covid-19. Il va tuer ailleurs.

Pareil pour les masques, on les a tous vendus aux Chinois alors on n’en a plus, qu’importe ! on vous l’a assez répété : les masques n’ont d’efficacité qu’entre malades et soignants, pour tous les autres, pas besoin, les masques ne les protègeraient pas. Dans ces conditions, ubuesques et comiques, je vous passe les différentes catégories, qui vont du périssable en trois heures, pas cher, aux plus sophistiqués avec le groin, qui en Chine, atteignent 40 €, en France pas encore, mais de toute manière, on n’en a pas.
Vous voyez que l’humour est partout et j’ai préparé la liste des courses urgentes : piles pour l’ordi, déboucheur pour le lavabo, tulipes et… des pâtes, parbleu.

« L’amour court les rues » est écrit sur un matelas plié en deux devant l’école qui ne rouvrira pas demain. Même s’il est bien seul, l’amour, à courir les rues en ce moment, ce matelas d’espoir, qu’on ne l’enlève de cette rue , si joyeuse hier, devenue si déserte.

© Jacqueline Dauxois

Pour en savoir plus sur le cycle Otello :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *