« Les Cavaliers » de Kessel ou l’épopée d’un monde assassiné

L’ÉPOPÉE D’UN MONDE EXÉCUTÉ

Ci-dessus : Joseph Kessel.


En 1967, Joseph Kessel écrit « Les Cavaliers », roman épique barbare et foisonnant, publié par Gallimard. On lit d’un trait les cinq cents quarante-six pages de ce roman du courage incandescent et des ravages de la trahison, dont les héros sont un cavalier et un cheval de légende, Jehol, « le cheval fou », si étroitement soudés l’un à l’autre que leur vies mêmes sont liées. Mais ce centaure dépasse tout ce que l’Antiquité avait imaginé, le cavalier, Ouroz, dans une course à l’abîme qui est tout le sujet du livre, s’est fait scier une jambe gangrénée qui l’aurait conduit à la mort.

Auteur de quatre-vingt-sept livres, Joseph Kessel, est un héros qui a fait les deux guerres, engagé volontaire dans l’aviation au cours de la première, capitaine pendant la deuxième reporteur, voyageur, baroudeur, sa vie remplirait plusieurs romans, son écriture est d’une puissance magistrale, ses personnages inoubliables.

Le décor des Cavaliers, c’est l’Afghanistan, qu’il connaît avec ses bouzkachis effrénés et sauvages où deux équipes à cheval se disputent parfois au péril de leur vie les restes d’un bouc, ses paysages et ses architectures fabuleuses sur la route des caravanes. Sur cette terre où la montagne domine la steppe infinie vivaient des hommes aux passions sans retour, d’une cruauté et d’une grandeur qui rejoint le mythe : les cavaliers. Quand le bouzkachi d’autant plus enragé qu’il se dispute en présence du roi s’achève, l’intrépide et cruel Ouroz a une jambe fracassée et il fuit à cheval l’hôpital qu’il juge indécent. Alors commence le fabuleux périple par lequel il s’enfonce dans le cœur du pays et dépouille son âme et ses sentiments, comme sa jambe, jusqu’à l’os. Hommes et femmes, les personnages qu’il croise le long du périple mortel dans lequel il s’engage sont, comme lui, des héros de légende que rien ne détourne d’être eux-même. Y compris le fidèle entre les fidèles, le traître absolu et parfait comme on en trouve dans Shakespeare.

Ci-dessus : Les Bouddhas de Bâniyân (trois photos distinctes accolées).

Ci-dessus : le vide après la destruction à l’explosif.

En Afghanistan setrouve l’Indou Kouch, le passage des caravanes, dont la beauté a fasciné des générations de voyageurs. Bordant la vallée, les montagnes abruptes offrent un musée sculpté à ciel ouvert foisonnant de bouddhas gréco-bouddhiques. Ces trésors de l’art du 4ème et du 5ème siècle ont déjà été attaqués par les civilisations de la mort : l’islam, au 8ème siècle, et Genghis Khan, en 1222. Restaient deux bouddhas gigantesques taillés dans le roc de la falaise de Bâmiyân. Le plus petit de trente-cinq mètres et le plus grand de cinquante-cinq défiaient les barbares, toujours debout en 2001.
Le 1° mars 2001, un décret du mollah Omar, ordonne leur destruction à l’explosif. Un trésor de l’humanité part en fumée.

Le 1° mars 2001, le roman de Kessel devient un irremplaçable document sur un mode de vie assassiné sans cesser d’être ce fabuleux roman d’un auteur aussi géant que les bouddhas des falaises de Bâmiyân.

© Jacqueline Dauxois

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