Roberto Alagna au Metropolitan Opera, un Roméo cosmique

ASTROLABE ET COSMOS

Au Metropolitan Opera de New York, en 2007, les décors n’attendent pas la spectaculaire image où le lit de la première nuit d’amour descend des cintres au milieu des étoiles pendant que le vent agite les draps pour proclamer que « Roméo et Juliette » est une histoire d’amour cosmique.
Dès le début, pendant la rencontre au bal des Capulet et les scènes du balcon, Roméo et Juliette évoluent sur un parquet qui représente un astrolabe géant, projection plane de la voûte céleste, ceinturé par un anneau avec les douze signes du zodiaques.

L’ensemble mobile, dont les anneaux extérieurs se soulèvent et s’abaissent ainsi que le plateau central, se prête à différents jeux de scène qui soutiennent l’action, forment des cachettes ou des appuis jusqu’au « jour de deuil », pivot de la marche à la mort, où Roméo tue Tibalt en duel.

LE COSMOS TÉMOIN DE L’AMOUR ET LA MORT


Le cosmos est ainsi le premier témoin de la naissance de l’amour, de son double accomplissement dans le mariage religieux et l’amour charnel, et de la mort annoncée, celle de Tibalt préludant à celle des époux.


En même temps que l’astrolabe occupe la partie centrale du plateau, le décor du fond, où la maison de Juliette est représentée par une marqueterie renaissance si fouillée qu’elle pourrait borner la scène, s’ouvre sur un jeu de projections de la voûte céleste avec ses galaxies d’une beauté magique aux couleurs changeantes qui foncent ou rosissent.


Ainsi Roméo, sous le balcon de Juliette, a les pieds sur l’astrolabe, au milieu des astres du ciel représentés à la mesure humaine, la lune comme un croissant, et la tête dans des poussières d’étoiles qui ouvrent sur l’infini.
Cette représentation propose une double image figurée : celle du dramaturge qui doit enserrer dans la limite des mots une histoire grande comme le monde et celle de l’amour considéré comme porteur de l’infini cosmique. On ne peut qu’être enthousiasmé par cette vision si shakespearienne de Roméo et Juliette.

DES IMAGES FAITES POUR ALAGNA

Ces images vont si bien à Roberto Alagna qu’elles semblent conçues pour lui qui affirme que chanter, c’est prier. On n’en doute pas, quand on le voit sur une scène. Ici, la conception de cette production ne l’oblige pas à imposer la vérité de son personnage contre tout ce qui l’entoure, mais le sert, exalte tout ce qu’il est, dans sa nature même et dans ce qu’il a conquis pour son art depuis ses premiers pas à l’Opéra. Cette concordance, lui épargne d’épuisants combats et d’inutiles fatigues, alors qu’il est obligé d’user ses forces si souvent simplement pour respecter l’œuvre qu’il interprète, le personnage qu’il incarne et son public venu l’entendre qui, comme lui, déteste les contresens (tout ce qui devrait être un évident acquis), et procure une aisance suprême à son Roméo, d’autant qu’avec Anna Netrebko pour Juliette, tous les deux sont parfaits.

 La vision cosmique du réalisateur rend compte d’un rêve ou d’une réalité suggérant que le caractère immortel des héros de Shakespeare est inscrit dans les étoiles de toute éternité. Ce n’est donc pas fortuit si les deux moments où le décor est clos sont lorsque Juliette avale le faux poison et la fin, dans le tombeau, où les époux se rejoignent dans la mort. Dans ces deux scènes, la mort est présente, en simulacre d’abord puis en réalité, donc l’immortel cosmos disparait, se voile le visage, refuse d’y assister. Mais pour ne pas renoncer à l’idée de la grandeur humaine d’un amour aussi puissant, le plafond de la chambre, très élevé, donne cette ample respiration qui permet à Juliette de boire « à Roméo » – et celui du tombeau, contrairement à la réalité des chapelles funéraires, mais en accord avec l’univers de Shakespeare et avec nos attentes, est vertigineusement élevé. Il se perd à une hauteur démesurée, volontairement soulignée par un escalier fictif (Roméo en emprunte un autre pour descendre près de Juliette) et semble grimper dans les cintres aussi haut qu’en descendait le lit, comme si leur amour abaissé sur la terre repartait vers le ciel. L’escalier irréel figure alors une image du salut et répond à la prière de Juliette et Roméo qui demandent à Dieu pardon de se tuer à la fin d’une scène si cruelle que, de nos jours, on pourrait s’attendre à ce qu’ils mettent en question le « Dieu de bonté, Dieu de clémence » qu’ils ont prié passionnément depuis leur mariage.

AJOUTER AU CLASSIQUE SANS LE DÉNATURER

Cette approche de l’œuvre, qui va, pour ceux le veulent, au-delà d’une lecture au premier degré, sans rien dénaturer de son caractère classique, est d’autant plus convaincante aujourd’hui où tant de mises en scène contemporaines étouffent les forêts, les palais, les amours et les rêves dans des décors étriques et vilains qui représentent de petites boites très laides, hangars, bureaux, salles de conférences ou de rien du tout, au plafond bas, éclairées au néon qui n’ont pas d’autre but, avoué d’ailleurs, que politique destiné à détruire une culture, un art sublime pour imposer un concept rudimentaire et démontrer que tout n’est qu’égalité, que le beau égale le laid, le grand le petit, le noble l’ignoble, le crime et l’innocence – et que personne n’a le droit de juger une mise en scène tordue.
Emparons-nous de ce droit, qu’on nous refuse aujourd’hui, pour applaudir le Met et sa conception de l’art lyrique, qui ajoute sans dénaturer.
Pour regarder et regarder encore un Alagna époustouflant dans l’incroyable jeunesse, vocale, mais pas seulement, de ce Roméo idéal.

© Jacqueline Dauxois

Images : captations de la vidéo du Met le 8/12/2007.

2 réflexions sur “Roberto Alagna au Metropolitan Opera, un Roméo cosmique

  1. D’accord avec Jacqueline sur ce qu’elle dit des décors et et des mises en scène « tordues »que beaucoup de maisons d’opéras nous infligent . Et sur le plaisir que nous procure le Met et certainement aussi aux chanteurs . Quant aux commentaires et à l’étude si fouillée que fait Jacqueline de ce Roméo du Met il nous laisse l’impression désagréable de ne pas avoir vu et compris certaines choses que nous montrait ce Roméo du Met …Il faudrait le revoir maintenant

  2. Merci le Met , merci Roberto et Anna pour ce beau spectacle et merci Jacqueline pour cette belle étude du « Roméo et Juliette » du Met et pour avoir redit ce qu’elle pense des décors et mises en scène « tordues »que nous infligent tant de maisons d’opéras.

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