À Neuchâtel, Balzac, madame Hanska et Alagna

Ce chapitre n’est pas fini. J’y reviendrai peut-être. Ou je le laisserai inachevé, dans ce cas l’inachevé est achevé.

Concerts le 21 et le 23 novembre 2022

Chapitre I

LE BEAU PRÉTEXTE

Avec le beau prétexte des deux concerts d’Alagna,  le 21 et le 23 novembre, je venais retrouver Balzac.
Dès que j’ai parlé de Neuchâtel, Patrick Besson, m’ayant demandé de chercher l’hôtel de Balzac, ce sera très facile, disait-il, il n’existe plus, remplacé par un Macdo. S’il y a plusieurs Macdo, je le trouve comment, celui de Balzac ? Facile, je te dis, il a gardé le nom : « Faucon ». C’est là que pour la première fois peut-être, Balzac et Madame Hanska se rencontrèrent. Mais le mari ? Le mari, c’est simple, adorait Rossini, en fan, de loin. Balzac était ami de Rossini, il fournissait le mari en selfies, je veux dire en autographes et le mari regardait ailleurs.

La façade, au-dessus  du rez-de-chaussée défiguré par les enseignes, est sans doute celle que connut Balzac, aux étages on imagine une silhouette… ou deux, enlacées, peut-être.

L’intérieur est bourré d’ados criards, qui se hurlent dessus en allemand. J’ai pris la fuite avant qu’ils ne me clouent aux poteaux de couleurs comme les Peaux-Rouges dans le poème de Rimbaud.

LA RUELLE DES ÉCRIVAINS

Échappée du Macdo, la rue du Neubourg, celle des écrivains.
Petite, étroite, encaissée, un air de ruelle des Alchimistes à Prague, couverte des visages, si reconnaissables, de quelques géants de la littérature. Ignorée des dépliants touristiques. Tant mieux, il faut y être seule pour que la magie opère pendant ces quelques mètres qu’on traverse à côté de Chateaubriand, Balzac, Dumas père, Isabelle de Charrière, Percy et Mary Shelley, Rodolphe II, et, à la meilleure place, là où les murs s’écartent, Rousseau, évidemment.

RODOLPHE II, LEQUEL ?

Un seul auteur du Moyen-Âge parmi eux : Rodolphe II. Pas le mien. Le mien, c’est  : « Rodolphe II, l’empereur des alchimistes », plusieurs tirages y compris en poche, en Allemagne, Pologne, Amérique latine, en France rien, les Français n’éprouvent aucune curiosité pour le petit-fils de Charlemagne qui, ayant déplacé la capitale impériale de Vienne à Prague, ne parvint pas à dilapider tout l’or des Conquistadors dont il héritait, qui passait son temps devant les cornues à tenter le diable, cherchant la pierre philosophale et les secrets interdits, avec Kepler et cette bande de génies qui risquaient l’excommunication à fouiller dans les étoiles. Il avait apprivoisé un lion et, ainsi qu’il l’avait prédit, mourut le même jour que son fauve familier.

 Ce Rodolphe II, poète du Moyen-Âge, qui est-il ? Je n’ai pas encore cherché.

Mais c’est avec lui que les fils de l’invisible ont commencé de se nouer, d’un Rodolphe à l’autre, d’une diablerie à l’autre. Ce n’est que le début. On sent déjà le soufre et le souffre, ce sera Faust, par Alagna (à ce moment, j’ignorais le programme qu’il chanterait).

LES FILS DE L’INVISIBLE

Près de chaque visage, il y a une citation de l’auteur.
À côté de celui de Balzac :
« Neuchâtel, c’est comme un lys blanc, plein d’odeurs pénétrantes, la jeunesse, la fraicheur, l’éclat, l’espoir, le bonheur entrevu ».

La citation évoque la jeunesse, désir fou qui perdra Faust. D’après la citation (on ignore d’où elle est tirée), Neuchâtel n’aurait été pour Balzac que « l’espoir », le bonheur « entrevu » ?

Si Patrick ne se trompe pas, et sur ces sujets, c’est bien rare, quelle tristesse chez l’auteur du « Lys dans la vallée », car,  s’il n’a pas connu le bonheur à Neuchâtel, il ne l’aura jamais. Bien sûr, il épousera Mme Hanska à la mort du mari, trop tard, non seulement le mariage ne garantit le bonheur à personne, mais il n’écrivait plus, il n’avait plus d’argent, il gagnait des fortunes avec sa plume, mais il dépensait tout, et elle, l’épouse, ne voulait pas vivre dans la maison de Passy qu’il avait installée pour elle, mais sur ses terres, pour Balzac, si lointaines.

A ceux qui l’ignoraient encore, Aragon a annoncé que les histoires d’amour finissent mal : « Il n’y a pas d’amour heureux ». S’il ne figure pas dans la ruelle, un autre y est représenté, qui dit presque la même chose, ce Rodolphe II, inconnu de moi, au visage d’ange blessé : 
« En chantant, j’espérais alléger mes peines, si je chante, c’est pour m’en libérer ; mais plus je chante et plus j’y pense » .

Les tissages de l’invisible semblaient s’arrêter là, dans la ruelle, au XIXème siècle.

 Ils se sont prolongés jusqu’à aujourd’hui.

Jusqu’à Alagna.

Au premier duo de Faust, la phrase de Balzac s’est mise à bouillonner. L’écrivain évoque la jeunesse, Faust se vend pour la reposséder. Faust n’exige que du plaisir, Balzac espérait le bonheur. Curieux comme cette courte citation se démultiplie. Curieux aussi qu’on n’y trouve pas le mot amour. Mais Balzac est l’auteur des « Illusions perdues ».

Quant au concert, il n’a pas fini de révéler sa vérité.

Chapitre II

LE THEÂTRE DU PASSAGE

Le nom m’intriguait. Le Passage, on sait ce que c’est.

Au pluriel, il y a des passages dans des villes ; à Paris, ils permettent d’aller (presque) de la salle Favart à Montmartre.

À Neuchâtel, le théâtre n’est pas dans un passage, mais dans une pente.

Donc, le théâtre du Passage.

Il y régnait, dans ce théâtre, une bienveillance. On s’y sentait une personne humaine, à part entière. Aucun regard ne vous rejetait dans le néant. C’est agréable.

 Le soir du premier concert, sur scène, Rubén Amoretti, a exprimé sa reconnaissance envers celui qui n’avait cessé de l’aider. Il a dit combien d’autres avaient été soutenus par Alagna, qui gardent bouche close (c’est moi qui l’ajoute je n’ai pas entendu chanteurs ou chanteuses lui manifester en public leur reconnaissance).

Celle qu’exprimait Amoretti lui est montée aux yeux en larmes et à la gorge. Il n’a pas pu achever sa phrase.

Roberto est sorti du rideau et l’a serré dans ses bras.

L’émotion, partagée par la salle, les entourait d’une vague chaleureuse.

LES FILS DE L’INVISIBLE

Alors, les fils de l’invisible se sont noués si fort que trois airs ont émergé du programme.

Pourquoi trois? Parce que.

Chapitre III

ANGE PUR, ANGE RADIEUX

Le premier, « Rachel ».

 Le père (adoptif) laisse conduire sa fille au supplice. Contrairement à l’abominable Azucena, il ne prend pas plaisir à sacrifier son enfant, il en souffre. Dans la bouche d’Alagna, des vers de mirliton deviennent hugoliens, premier bonheur qui précède l’extraordinaire dédoublement. À travers lui, il la montre, elle aussi, Rachel qui le supplie de la sauver. Il chante cet air, sémantiquement si complexe, depuis sa  première jeunesse et fait naître chaque fois la même fascination.

1)Donc, on démarre avec une demande passionnée de vivre dans laquelle le ténor incarne à la fois le vieux tueur et la jeune suppliante

2)Le premier duo Faust /Satan (Alagna/Amoretti) apporte la réponse diabolique. Mais qu’il est beau, ce duo ! Servi par deux chanteurs dont la seule apparence physique, sans parler du registre vocal, crée un contraste idéal.  

Le vieux Faust maudit sa vie passé, son travail et son Dieu avec une violence qui évoque le credo satanique de Iago. À bout de malédictions, Faust invoque Satan, qui s’empresse. Faust, qui se vend pour revivre une autre jeunesse que la sienne, explose d’une joie féroce , « à moi les plaisirs », et avec une telle fougue, tant d’impétuosité et de promesses de rattraper un vie sage et studieuse par des débordements déchainés, qu’on le suivrait dans cet enfer rutilant de caresses, lui et son diable.

Mais la réponse du diable, n’est pas celle de la vie. Ce qu’il apporte, Satan, c’est l’esclavage pour l’éternité.
Faust se vend pour des plaisirs.
Marguerite voulait l’amour. L’amour c’est gratuit, c’est donner, pas prendre, c’est la liberté d’abord de l’autre, tout le monde le sait. Faust exige les plaisirs, c’est payant et sans fin. Aucune Marguerite ne  lui suffira jamais, mais la nuit de Valpurgis, n’est rien non plus, rien que du plaisir jusqu’à la folie des sens, la recherche exacerbée d’un assouvissement jamais atteint, il faudrait en mourir, on n’en meurt pas, on s’endort avant. Il le sait, à son âge.

Pourtant, il devient esclave, il a hésite, mais consenti.

Le concert déroule ses airs, solos, duos, trios.

 3) Il faut attendre le dernier trio de « Faust » qui apporte la réponse des anges. L’amour et la liberté.

Faust et Satan viennent chercher Marguerite pour la faire échapper au supplice. C’est à Satan qu’elle veut échapper. À Satan et à Faust, vendu au mensonge. Alors qu’il l’appelle, lui, ce vieux Faust rendu jeune, ce menteur et fornicateur qu’elle aime : « viens, viens, je le veux », elle supplie, comme si elle se bouchait les oreilles avec de la cire pour ne pas entendre la voix de la sirène : « Anges purs, anges radieux ».

Elle choisit la mort de la chair et la vie éternelle.

Le chœur chante la Résurrection.

Voilà comment trois airs racontent l’histoire du salut.

Une réflexion sur “À Neuchâtel, Balzac, madame Hanska et Alagna

  1. Encore une fois Mme Dauxois nous étonne avec ses réflexions et commentaires .Et en bonne écrivaine ne manque pas d’inviter les grands noms de la littérature .

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