Arena de Vérone, Roberto Alagna dans Cavalleria Rusticana, une incarnation de la poésie lyrique

C’est avec une voix off, très rare à l’opéra, que commence « Cavalleria Rusticana » de Mascagni. Le public cherche des yeux le ténor caché derrière le décor, et lui il chante sans être devant son public, double solitude qu’on retrouve à la fin puisque Turridu meurt en coulisses alors qu’une voix sans visage annonce sa mort.

Ce chant, huit vers écrits en sicilien, a donné le nom de Sicilienne à l’air « O Lola » où Turridu célèbre la beauté de sa maîtresse certain qu’il se croirait encore au paradis s’il répandait son sang devant sa porte. Or, si rien n’est plus fort qu’une déclaration qu’on fait à l’autre en sa présence, rien n’est plus pathétique que des aveux adressés à l’absent (e), la non réponse autorisant à tout supposer.

Des sentiments de Lola, que sait-on ? Mais rien !
Sans elle, pas d’histoire, pourtant son rôle, le moteur de la nouvelle de Verga, est secondaire. Elle n’existe qu’à travers les sentiments des autres : l’amour de Turridu, la jalousie de Santuzza, la vengeance de compar’ Alfio, mais jamais davantage que dans cette voix off qui nous vient des coulisses, cette voix, pas encore incarnée puisque Roberto Alagna est invisible, mais dont la suavité céleste écarquille nos yeux et nos


Cette voix, dont on peut avouer à quel point l’ampleur des aigus, la puissance du medium, le legato idéal et la diction parfaite demeurent insaisissables avec des mots devenus creux, elle est pluie de pétales dans un jardin japonais, danse de la lune sur les vagues de la mer, coulée d’or dans le creuset des alchimistes, resplendissement du soleil drapé de noir, de pourpre et d’or qui vous force à fermer les yeux comme, ce soir, elle vous ouvre le cœur.

La Sicilienne contient tout l’opéra, elle en est la matrice et le germe fécond.
Le mystère des mots s’y ajoute à celui de la voix et, lorsque Turridu fait son entrée, le personnage passe de son rêve d’amour à une réalité cruelle -, qui va le détruire, alors que le public, déjà introduit dans la poésie lyrique par ce timbre unique, d’une musicalité angélique, voit son rêve incarné en un Roberto Alagna radieux-, qui va transporter l’Arena .

Pour Turridu, la réalité c’est Santuzza qui s’accroche à lui, réclame, pleure, exige alors qu’il lui donne tout ce qu’il peut donner, il est son amant, pas tout à fait à son corps défendant, mais parce que la Lola de son rêve, celle de la Sicilienne chantée en coulisses pour qui il est prêt à verser son sang (et il va le verser), Lola, celle de la réalité, celle qui trahit, en a épousé un autre, le riche charretier Alfio. Il serait trop facile d’accabler Lola. Dans la Sicile traditionnelle décrite par les décors et les costumes, elle a dû être l’objet de pressions insupportables auxquelles elle a cédé, elle est faible, elle l’a prouvé en étant infidèle à son fiancé et en lui revenant, elle trompe tout le monde, mais est-ce si simple? La partition lui donne peu à chanter mais des airs qui ne correspondent pas à un caractère de coquette et au contraire montrent une jeune fille qu’on a poussé à épouser un autre que son promis et qui revient vers lui, toujours éprise, bien que mariée. Exactement comme le Turridu que révèle Alagna, irrésistiblement attiré par Lola, bien que lié à Santuzza et décidé à l’épouser. Alagna a dans le regard la déchirure de Turridu qui hésite entre les deux femmes, entre les deux choix, la sagesse ou la folie, le risque ou la sécurité lorsque le duo devient trio et la situation inextricable. Il ne montre aucune exaspération contre Santuzza chez Turridu, il est sensible à son amour même de ventouse, ne veut pas qu’elle souffre, sait qu’elle souffre à cause de lui, mais rompre avec Lola, il ne peut pas.

Sait-il que Santuzza, après avoir essayé de le protéger en empêchant Mamma Lucia de dire à Alfio où était son fils, elle l’a livré ? Qu’il le sache ou non ne change rien. Dans ces villages tout se sait. Si Santuzza n’avait pas parlé, un jour ou l’autre Alfio aurait appris l’adultère de sa femme et le nom de l’amant, ce nom que Canio va réclamer à Nedda avec fureur dans Pagliacci.
Alors on entre dans cette chevalerie rusticana où un affront fait à l’honneur doit être vengé dans le sang.

Turridu mord l’oreille de compar’Alfio, c’est lui qui provoque, or il n’est pas l’offensé, il est l’offenseur, il le reconnait lui-même. Mais il est aussi l’offensé puisqu’Alfio a refusé de boire avec lui, après le brindisi étourdissant où ni Turridu ni Lola n’ont montré la moindre prudence ; demander à l’homme dont on a séduit la femme de boire ensemble, c’est de la provocation ; ainsi les complications de la chevalerie campagnarde n’ont rien à envier à celles qui opposent les duellistes de la noblesse. Turridu va se battre pour gagner, pour tuer, il le dit à son adversaire, sinon Santuzza sera abandonné, mise au ban du village, rejetée par tous, une paria, une pestiférée qui s’est donnée sans avoir au doigt la bague recommandée par Méphisto.

L’opéra se termine par les adieux à sa mère, Mamma Lucia, que Roberto Alagna rend bouleversants.
Il ne sait pas qu’Alfio va lui jeter du sable dans les yeux, pour l’assassiner au lieu de se battre contre lui, mais tout en lui le pressent : la demande de la bénédiction comme avant de partir à l’armée, les recommandations qu’il lui fait de servir de mère à Santuzza, s’il ne revenait pas, le mensonge d’enfant lorsqu’elle s’ inquiète et qu’il répond qu’il a abusé du vin pétillant et enfin son départ comme une fuite.

Il court mourir dans les coulisses d’où il émergeait radieux après la Sicilienne. On ne le verra plus. Alafio l’a assassiné le jour de Pâques. Il est mort le jour de la Résurrection.

On ne le verra plus ce soir, mais après l’entracte le Canio de Roberto va enchanter l’Arena.


©Jacqueline Dauxois

Arena de Vérone : Aleksandra Kurzak dans Cavallerie Rusticana : une révélation


ALEKSANDRA KURZAK DANS CAVALLERIA RUSTICANA, UNE RÉVÉLATION

Le 31 juillet 2021, le couple le plus radieux de la scène lyrique a remporté un triomphe dans « Cavalleria Rusticana » et « Pagliacci ». Le public a trépigné, crié et réclamé un bis (il n’en chante jamais depuis le jour où il a vu l’angoisse d’une partenaire qui attendait qu’il eut fini) à Roberto Alagna après son « Recitar…ridi Pagliacci ». L’incomparable richesse qu’Alagna donne à Turridu et Canio, et qu’il renouvelle chaque fois, n’est pas une surprise.

La surprise est venue d’Aleksandra Kurzak, en Santuzza, pour la première fois dans la version opératique de l’oeuvre.On a vu que le personnage est ingrat, une femme que son amant a promis d’épouser bien qu’il en aime une autre, (Lola, qui lui était promise mais qui s’est mariée pendant qu’il était à l’armée). Jalouse Santuzza dénonce Turridu au mari, sachant qu’il sera assassiné. Récrimineuse (non sans raison), elle le contraint à mentir et le fait tuer alors qu’avant d’aller se battre dans ce qu’il croit un combat loyal, il ne cherche qu’à la protéger en la confiant à sa mère, Mamma Lucia. Cette sorte de femme revendicatrice pendue aux basques d’un amant qu’elle tourmente, n’a rien pour séduire.Aleksandra Kurzak place son personnage dans une perspective romanesque et vocale où tout est changé. De la mégère, elle fait une amoureuse et sa dénonciation, dont elle se repend aussitôt, placée dans la continuité de son amour, devient le fruit d’une tendresse que la jalousie a dévoyée.

De la même manière que Roberto Alagna transfigurait Otello, d’un jaloux furieux, en un amant qui tue comme on se tue, Aleksandra Kurzak transfigure Santuzza sans jamais surjouer, de son timbre fluide, rayonnant et profond s’allie à celui, resplendissant de lumière, d’ampleur et de souplesse de Roberto Alagna.Le travail qu’elle a fait sur Santuzza et l’aboutissement auquel elle parvient confirme que si deux chanteurs devaient être ensemble sur une scène c’est Aleksandra Kurzak et Roberto Alagna.Hier soir, à l’Arena, les spectateurs ont connu grâce à eux, un grand moment d’opéra, une des ces nuits qui vous transportent au milieu d’un ciel crépitant dans le sillage de deux étoiles qui vont à l’amble.

©Jacqueline Dauxois

Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak dans Cavalleria Rusticana » et « Pagliacci » à l’Arena de Vérone, répétitions, juillet 2021

1) UNE PREMIERE

Pour la première fois à Vérone, le 31 juillet 2021, un couple marié va chanter ensemble les deux opéras siamois, « Cavalleria Rusticana » et « Pagliacci » : Roberto Alagna et Aleksandra Kurzak .

L’ange de Vérone

Et j’étais là et ma tête décidait que je me conduirais en touriste, pour changer. Quelque chose, dans cette tête de bois, savait que je me racontais des histoires, mais que faire puisque même Roberto Alagna disait que les répétitions auraient lieu dans des salles fermées, qu’il était impossible d’entrer.

2) UN ANGE

Il y a des anges, mélangés à des hommes, depuis toujours, voyez la Bible.

Le premier soir, je photographiais l’Arena la nuit, cherchant un fond pour ma page de titre, l’un d’eux, un ange romain, tout rond et un peu rubicond, pas du tout le style bel adolescent de ceux du célèbre Pont, m’a abordée, lorsque la femme qui l’accompagnait a compris que je ne trouverais pas ce qui était devant moi parce que je voyais des gladiateurs et que j’entendais rugir les lions dans la cavea, elle l’a encouragé à me conduire à la porte d’où l’on aperçoit les répétitions. C’était celle de Turandot, qu’on donnait le lendemain ou le surlendemain. J’ai dit que celles de Cav/Pag seraient dans des lieux fermés, personne ne pouvant y assister. Alors, il y a eu un lâcher d’artistes, l’ange  déguisé, l’ange incarné, enfin celui qui ressemblait à un romain un peu bedonnant et aux joues vermeilles, m’a désigné une dame qui orchestrait départs et arrivées des choristes : elle faisait partie de la production de Turandot, elle m’aiderait pour. De fait, loin de manifester de l’exaspération, elle est allée chercher un papier, m’a écrit un nom, un numéro de téléphone, deux adresses mail et une adresse en ville : les coordonnées de la seule personne au monde capable de me donner l’autorisation. Comme l’ange, elle m’a souhaité bonne chance. Le lendemain aux aurores, j’étais à l’adresse de la Direction artistique de Cav/Pag. Vide tout le matin. L’après-midi, j’ai écrit, j’ai passé une heure à vérifier mon italien, je n’ai oublié ni mes titres ni mes livres ni mon travail d’écrivain et de photographe avec Roberto Alagna. Réponse par retour. Immémoriale courtoisie de l’Italie.

3) UNE NUIT, DEUX RÔLES

Jouer les deux rôles Turridu (Cavalleria Rusticana) et Canio (Pagliacci), Roberto Alagna en a l’habitude.
Jouer les deux rôles, Santuzza (Cavalleria Rusticana) et Nedda (Pagliacci) Aleksandra Kurzak, dont on se souvient de l’éclatante première Nedda, en prendra l’habitude.

Pour les chanteurs, l’un des exploits de cette performance consiste à inverser les caractères à l’entracte. Roberto Alagna, d’un Turridu plusieurs fois trahi, qui, malgré lui, essayant de se tirer d’une situation inextricable qui le rend malheureux, fait souffrir Santuza, qui  va, volontairement,  provoquer sa mort devient Canio, mari fidèle et amoureux d’une seule femme, qui, manipulé, va tuer celle qu’il aime.
Aleksandra Kurzak, Santuzza, la délaissée, jalouse dénonciatrice, qui fait tuer son amant, devient Nedda, infidèle à Canio mais capable de mourir pour un autre.

Les liens entre les deux œuvres, de deux compositeurs différents, mais qui mettent en scène des histoires du Mezzogiorno, sont nombreux, il en est un encore qu’on peut imaginer. La sicilienne de Turridu, en voix off dans les coulisses, pourrait être chantée par Canio tant elle contient de blessure d’amour et d’espérance d’éternité, elle tisse un lien entre les deux hommes, les deux œuvres… peut-être.

4) CAVALLERIA RUSTICANA RÉPÉTITION

La répétition de Cavalleria rusticana a eu lieu dans un studio de la Philharmonie, celle de Pagliacci dans un gigantesque hangar à l’écart du centre, décor de cinéma pour un film noir. C’était parfait. Les deux, c’était parfait. Assister à ce travail de deux chanteurs qui sont parmi les plus grands du monde, qui sont des seigneurs de la scène, est un privilège royal qu’ils m’accordent tous les deux et qu’avec l’aide de Roberto Alagna, étalant mes titres, j’obtiens ou arrache aux productions.

Ci-dessus, Roberto Alagna avec Elena Zilio, Mamma Lucia.

« Cavalleria Rusticana » répétition à la philharmonie de Vérone, le 28 juillet 2021

 Avec «Pagliacci, Cavalleria Rusticana  est, à ma connaissance, le seul opéra vériste, inspiré par le Sud de l’Italie, qui ait survécu jusqu’à nous sur les scènes internationales. Le compositeur, Mascagni, partageait une chambre avec Puccini. Pressé par la misère, encouragé par Puccini, il a écrit pour gagner un concours dont el vainqueur verrait monter son opéra. Il a travaillé comme un fou, c’est-à-dire comme il faut, jusqu’à seize heures par jour pendant que deux amis qu’il harcelait : Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci, écrivaient le livret.

L’histoire, comme celle de Pagliacci, met en scène une tragédie sans déesses ni dieux, une chevalerie villageoise, rustique, paysanne presque dans laquelle le destin, la jalousie et l’amour conduisent Turridu à la mort dans cette terre de Sicile, où Roberto Alagna a ses origines, où le soleil des dieux, depuis des millénaires, dévore le sang que les hommes répandent au pied du mont Gibello que les étrangers appellent l’Etna.

L’argument

Au retour de l’armée, Turridu, qui trouve sa fiancée mariée, se laisse aimer par une autre, Santuzza, à qui il promet le mariage. Bien que mariée, Lola revient à lui. Santuzza, qui n’ignore pas qu’elle le tue par procuration, dénonce les amants. A l’opéra, la mort de Turridu se passe en coulisse comme la Sicilienne au début ; dans le roman, il meurt assassiné. Au lieu de se battre, le mari trompé lui jette du sable dans les yeux et le poignarde de trois coups sans qu’il puisse se défendre.

Trahi par sa fiancée, trahi par sa maîtresse qui provoque sa mort, Turridu est un héros déchiré entre sa promesse d’épouser Santuzza et un amour de jeunesse qui ne meurt pas.
Santuzza, elle, est torturée par sa jalousie et son amour. Dès qu’elle a livré Turridu, elle le regrette et cherche refuge dans les bras de la mère de celui qu’elle vient d’envoyer à la mort.

La Sicile ancestrale, la Sicile éternelle est là, dans une vérité humaine universelle, à l’ombre du volcan qui tue d’un haussement d’épaules, à l’ombre du Dieu chrétien et des processions à la Madone qui ont succédé aux divinités de l’Antiquité grecque dont les temples les plus beaux monuments se trouvent en Campanie et en Sicile. Les dieux, la terre et le volcan dans le cœur de l’homme, c’est « Cavalleria Rusticana ».

5) PAGLIACCI RÉPÉTITION

Répétition de Pagliacci, le 29 juillet 2021

Que dire/écrire de « Pagliacci » qui n ‘ait déjà été dit/écrit ?

Que dire de l’interprétation du couple le plus romanesque et le mieux accordé de la scène lyrique ? Dans cette œuvre, où Roberto Alagna incarnait Canio, « son » Canio, depuis plusieurs années, Aleksandra Kurzak l’a rejoint à New York pour sa première Nedda avec lui – aussi aboutie que si elle l’interprétait avec lui depuis toujours.

Pour éviter à l’écriture d’inutiles titubements, je poste quelques photos de la répétition du 29 juillet 2021, à Vérone, et je renvoie celles et ceux qui voudraient en savoir davantage sur l’œuvre et sur ces deux interprètes, aux nombreux articles postés sur ce même site.

À suivre ici, sur le site, et sur mon Facebook, une série d’articles sur Cavalleria Rusticana et Pagliacci à l’Arena di Verone.

© texte et photos Jacqueline Dauxois

Aux Chorégies d’Orange, dans les coulisses de la nuit verdienne, les plus belles voix du monde : Ildar Abdrazakov, Roberto Alagna et Ludovic Tézier

Non, ce n’est pas absurde de dire qu’hier, aux Chorégies, la répétition de la nuit verdienne, fut le bonheur retrouvé dans les coulisses vivantes, les portes des loges ouvertes, fermées, ouvertes, les chanteurs sur le seuil, dehors, dedans, leurs voix qui s’échappaient derrière les battants, l’inquiétude, la joie, les rires partagés, cette vie qui bouillonne, pas retrouvée pour « Samson et Dalila, hier soir enfin vibrante qui nous rendait la vie – et les appels pour gagner le théâtre, les quelques minutes qui restent avant le commencement, la traversée du couloir étroit sous les voûtes romaines qui ouvre, à gauche, sur la scène,  trouvée magique qui attend les splendeurs du spectacle, ensuite un coude sur la droite, un autre sur la gauche et la porte qui donne sur le passage public pour gagner les gradins.

La répétition d’hier donne à imaginer les beautés de ce soir. Trois voix, les plus belles du monde, rassemblées pour une nuit dans laquelle des éclairages baladeurs semblaient se moquer illuminant la scène, les niches derrière eux ou l’orchestre devant. Les yeux écarquillés, on essayait de voir les visages de ces silhouettes dessinées en contre-jour, contre-nuit, ombres chinoises tirées d’une lanterne magique, d’où jaillissaient les voix qui n’étaient que bonheur. Et comme personne n’était supposé assister à ces moments prodigieux, il ne viendrait à l’idée d’aucun de ceux qui avaient le privilège d’être là de se plaindre de quoi que ce soit, mais au contraire de remercier les Chorégies et leur capitaine, Jean-Louis Grinda, et Paulin Raynouard et toute l’équipe.

Quant aux surprises que réservent les bis, elles doivent rester secrètes jusqu’au concert. Elles seraient la signature d’Alagna, personne ne s’étonnerait.

©Jacqueline Dauxois

Samson et Dalila, Alagna et le troisième élément

Si les gradins d’Orange l’ont toujours adoré, c’est qu’il y a toutes le raisons pour qu’il le soit. Le public, ici, c’est le vrai public, populaire, dit-on, au sens si  large qu’on s’y perdrait, toutes les nationalités s’y retrouvent, toutes les classes de la société, de la musique, du savoir, du pouvoir, de la culture se mêlent ici à de grands ignorants qui ne font rien qu’aimer, les voix, les artistes, les spectacles, la magie de ces nuits glaciales ou torrides, tous venus pour des raisons différentes qui finissent par se confondre dans un seul mot, l’amour. Ils sont tous là pour Alagna qui transmet cet amour de son art comme un chanteur par siècle peut-être a pouvoir de le faire. Alors, personne ne s’étonne de voir, escorté par ses gardes, le prince Albert de Monaco grimper les gradins où Roberto Alagna va incarner, après Vienne et New York, son troisième Samson.

LA VOIX DU TENOR LE JEU DE L’ACTEUR

En accord avec l’enthousiasme du public, la critique ne ne tarit pas d’éloges. Certains naïfs écrivent qu’il chante bien. Il ne faut pas en rire, depuis trente ans, on a tout dit sur ce qui fait la beauté d’une voix aux accents de lumière qui court sur la gamme de l’arc-en-ciel, déploie des draperies solaires, allume partout des feux, flamboie, jette des éclats fulgurants de diamant noir lorsqu’elle explore le cœur d’un personnage sombre avec ce timbre unique, crémeux, soyeux, altier, tendre, puissant,  éblouissant, aussi resplendissant, qu’il soit diurne ou bien nocturne, comme lorsqu’il  chanté la basse de La Bohème pour la plaisir de discuter avec le vieux manteau que vend Colline pour aider Mimi de ces quelques sous.

Pour son Samson des Chorégies la presse locale, nationale et internationale (dans l’ordre d’entrée en scène) jusqu’au plus haut niveau le couvre de louanges, rappelle d’abord ce qui fait la beauté de sa voix, puis, en commentaire subsidiaire, l’intelligence et la sensibilité de son jeu d’acteur, aussi inégalable que son chant qu’une parfaite articulation rend compréhensible dans toutes les langues, car il ne pourrait pas être cet acteur dans l’âme s’il ne comprenait pas, jusqu’au dernier détail, le sens de tout ce qu’il chante, musique et partition, pour le faire comprendre au public qui l’adore.

LE TROISIEME ELEMENT

Une seule de ses qualités aurait suffi à lui assurer une gloire mondiale, mais elles sont exaltées par un troisième élément constitutif de sa personne, indissociable des deux autres, qui contribue à le rendre unique mais qui est difficile a enrober de mots, ça s’appelle le charme, le charisme, la beauté, je ne sais, parce qu’il y a un mot qui manque. De quoi est faite cette beauté, qui change ? Sacha Guitry disait que la beauté, à un homme, fait gagner quinze jours. Mais c’est qu’Alagna, pour gagner, loin d’avoir quinze jours, a trois heures sur scène. Parvenu à ce  niveau de perfection, un chanteur, même laid, sur les planches est beau.

Roberto Alagna donne l’impression que sa beauté il la commande et qu’il en fait ce qu’il veut. On est là dans l’extraordinaire.

Avec le Samson d’orange, il entre en scène au premier acte, tel qu’on l’attend. Samson est juge en Israël depuis vingt ans, l’homme le plus puissant d’un peuple d’esclaves, vaincus par les Philistins, désigné par le Dieu d’Israël pour remettre son peuple debout et « relever les autels », il resplendit, emporté par ses visions, illuminé comme un Moïse sur le Sinaï, comme prophète dans sa maturité.

Il ne peut pas se consacrer à son peuple et à son Dieu sans rompre avec Dalila, la » prostituée » ennemie. Comme il est incapable de la quitter, le duo des adieux se change en un brûlant duo où il proclame sa fidélité à son Dieu en même temps que sa passion pour elle.

Alors, il se transforme complètement. Il reste en lui quelques éclairs fulgurants pendant lesquels il supplie Dieu, et où on reconnaît clairement le prophète inspiré, mais lorsque ce vainqueur des Philistins sur le champ de bataille proclame son amour pour Dalila, se réfugie entre ses genoux, il change entièrement. Son visage n’est plus le même, plus de prophète, mais un homme beaucoup plus jeune et fou amoureux au point de se perdre, en trahissant son Dieu, son peuple et lui-même. Quand on aime à ce point, c’est toujours la première fois. Dalila n’est pas la première Philistine qu’il ait prise dans ses bras, mais là, oui, c’est la première fois et, parce que Samson aime et se croit aimé, Alagna nous fait entrer dans le mystère d’une beauté changeante, mouvante, émouvante, captivante, si incroyable, inexplicable. Comment peut-il être plus jeune dans le duo qu’au début ? Il l’est, parce que Samson ayant perdu des années de pouvoir et de responsabilité, irradie de jeunesse, mais c’est Alagna qui, alors, a la moitié de l’âge qu’il avait en commençant. De quoi faire tourner la tête. Ces « bellezze diverse » que Mario aime tant quand il peint, Alagna les porte en lui, puisqu’au cours d’un même spectacle, il montre les différentes beautés d’un Samson déchiré entre ses devoirs et sa passion, tour à tout, prophète de l’Ancien Testament, solidement ancré dans une époque et  éternel amant. En un seul spectacle, se jouant du temps, il montre des beautés diverses dans ce lieu prédestiné, le temple d’Apollon – où Auguste n’est présent qu’à titre d’usurpateur, le théâtre ne lui ayant pas été consacré, mais au dieu des arts et de la beauté masculine.

Si cette qualité avait manqué à Alagna comment serait passé le troisième acte, à Vienne, où il n’a aucun accessoire ni une meule ni une chaîne, où il est habillé comme un clochard, pantalon effondré, marcel en bout de course, perruque aux mèches hirsutes et où, seul, debout, il est éclairé par un projecteur (magnifiquement éclairé) dans l’immensité du noir (où l’aveuglement l’a plongé)? On ne voyait que lui, surgi des ténèbres, il était l’unique source d’une beauté, paradoxale mais indiscutable, à couper le souffle.

Le troisième acte, à Vienne, exaltait le contraste entre sa force et sa fragilité, la puissance de ses bras et de son torse découverts, l’impuissance de ses yeux aveuglés. L’émotion que provoquait sa vue était à son comble. Au Metropolitan, à travers ses loques, on voyait la force de sa constitution d’athlète, il tournait la meule, à Orange, où il est entièrement habillé, sa force d’aveugle se manifeste de l’extérieur, par les chaînes énormes nécessaires pour l’entraver. Dans les trois mises en scène (pas seulement à l’acte trois), la beauté est présente, et différente chaque fois. Pour Roberto Alagna, c’est exploit sur exploit, il n’est jamais le même Samson et tous sont parfaits car parfaitement aboutis, tous au sommet, dans la splendeur et l’éblouissement d’un héros millénaire auquel il donne une stupéfiante jeunesse, renouvelant sans arrêt son art si totalement accompli.

© Jacqueline Dauxois

Le triomphe de Roberto Alagna dans Samson et Dalila aux Chorégies d’Orange le 10 juillet 2021

Il est le chanteur de toutes les surprises. On a beau l’avoir suivi pas à pas dans ses répétitions, il a fait de son troisième Samson un exploit où il surpasse les deux premiers, ce qui semblait impossible car il avait été éblouissant pour sa prise de rôle dans la mise en scène de Vienne dont la conception, au comble de la difficulté, lui lançait un défi pratiquement insoutenable qu’il a relevé avec tant de brio vocal et d’assurance dramatique que le public debout a fait d’interminables ovations à ce héros hors des sentiers battus, dans lequel Roberto Alagna fut extraordinaire en rendant Samson proche de nous.

A Orange, depuis quelques jours, il était évident que deux conceptions différentes des personnages se côtoyaient.

Alagna donnait un Samson complexe, écartelé entre ses devoirs envers son peuple et son Dieu et son amour passionné pour la grande prêtresse ennemie, la Philistine, l’étrangère.

Marie-Nicole Lemieux, de son côté, restait fidèle à sa conception du TCE, montrant une Dalila impitoyable, apparentée à certaines divinités barbares assoiffées de sang. Sa Dalila sacrifie sans un frémissement son amant à sa haine, le risque étant de perdre l’ambiguïté subtile et la perversité de l’affrontement des amants pendant le duo de l’acte II, l’un des plus beaux de la littérature lyrique.

Ce risque, un Roberto Alagna resplendissant ne l’a fait courir ni à son Samson ni à son public et on a assisté à l’incroyable : de sa voix et de ses traits, il s’est investi dans les deux rôles, il est resté Samson en devenant Dalila.

À lui seul, il a donné à voir et à entendre l’ensorcelante perversité du piège monstrueusement délectable dans lequel Dalila ne peut pas l’engluer sans en souffrir aussi jusqu’aux tréfonds de l’âme. Il a été douleur, incrédulité, tendresse et combattant désespéré à bouleverser des pierres, mais pas cette Dalila.

Lorsqu’il a posé sa tête sur ses genoux, il y avait en lui l’abandon d’un enfant qui se croit sauvé en se réfugiant contre le corps de la déesse mère, la confiante douceur de l’amant qui attend le plaisir de l’accomplissement et jusqu’à l’imperceptible frémissement contenu du doute qui s’insinue malgré le refus de douter ; il y avait en lui tout le duo et la beauté de son visage illustrait celle du texte et de la musique.

Le triomphe de Roberto Alagna, acclamé par un théâtre en délire et la presse qui ne sait plus où trouver les mots, est la reconnaissance de son Samson d’une absolue beauté, qui le 10 juillet 2021, rendit irréelle la nuit des Chorégies.

© Jacqueline Dauxois

L’ange de Samson dans la Bible, le livret d’opéra et la mise en scène de Jean-Louis Grinda

Aux premiers accords de l’ouverture de Samson et Dalila, dans l’obscurité, un ange apparaît au fond du plateau ; minuscule, illuminé il se détache du mur immense et s’avance jusqu’au bord du plateau. C’est un enfant fragile sous ses boucles blondes, torse nu. Belle, émouvante, troublante, l’image renvoie au texte biblique.

Les parents de Samson se désolaient de leur stérilité lorsqu’un ange du Seigneur leur annonça une naissance prochaine. L’apparition était si terrifiante dans sa magnificence que les parents se jetèrent a face contre le sol. Dans l’opéra, lorsque Samson évoque les anges, il n’est question que de puissances redoutables :

« Je vois aux mains des anges
briller l’arme de feu,
et du ciel les phalanges
accourent venger Dieu.
Oui, l’ange des ténèbres
En passant devant eux,
Pousse des cris funèbres
Qui font frémir les cieux ! »

Alors pourquoi Jean-Louis Grinda choisit-il un enfant au lieu d’un adulte inquiétant ?

Il ne s’agit sans doute pas d’épargner la sensibilité des gradins des Chorégies, mais la mort de Samson préfigurant celle du Christ, cet ange, qui évoque Jésus enfant tel qu’on le représente dans l’imagerie traditionnelle, crée le lien entre le monde Samson et le nôtre.

En créant un véritable rôle muet pour son ange, le metteur en scène éclaire l’opéra d’un jour nouveau.

C’est l’ange, qui à la première scène de l’acte I, désigne Samson dans la foule des Hébreux. Lui, terrifié comme l’ont été tous les prophètes de l’Ancien Testament qui savaient le sort qui les attendait, tombe par terre d’effroi, se relève pour s’incliner devant le Messager. Il n’a pas le choix, il ne l’a jamais eu. Dès sa conception il a été nazir, consacré à Dieu par ses parents, voué, entre autres, à ne jamais couper sa chevelure foisonnante, secret de sa force surhumaine.

L’authenticité du jeu d’Alagna est si convaincante que, dès ces premières images, le spectateur, ne voit plus un ange mais l’envoyé céleste porteur de la parole divine.
Rarement, dans une mise en scène si difficile à réussir, metteur en scène et interprète ont réalisé un si complet accord.

A l’acte II, c’est l’ange encore qui désigne à Samson la demeure de Dalila, manifestant à quel point la volonté de Dieu peut se montrer étrangère à la morale conventionnelle puisque l’instrument du salut est l’une de ces Philistines que Samson aime depuis sa jeunesse, ce qui rend la situation inextricable : Dalila est une grande prêtresse des cultes orgiaques qui sont une abomination pour le Dieu d’Israël et c’est son ange qui pousse Samson dans ses bras. Le salut d’Israël ne passe pas ici par le respect des lois, mais par la plus scandaleuse des transgressions.

A l’acte  III, Samson les yeux crevés, objet de dérision dans le temple de Dagon dont les Philistins célèbrent le triomphe, en serrant contre lui l’ange, comme le Christ serrait saint Jean lors de la Cène, puise la force de demander à Dieu la mort pour lui le salut pour son peuple. Comme il lui a désigné le chemin de la demeure de Dalila, l’ange le conduit entre « les piliers de marbre » et c’est devant lui, messager de la volonté de Dieu, qu’avant de mourir, Samson s’incline une dernière fois.

Ci-dessus, l’écroulement du temple de Dagon.

Vu par Jean-Louis Grinda, l’ange exterminateur dans Samson et Dalila est aussi l’ange du salut, conception qui n’est pas très éloigné de l’apocatastase selon Boulgakov, suivant lequel, le Jour du Jugement, tous les hommes seront sauvés, tous les péchés détruits et qui est superbement illustré par cette mise en scène raffinée, nouvelle et en total accord avec le sujet.

La création de l’ange apporte un éclairage si évident après coup, qu’on se demande comment on a pu se passer de cette créature ailée jusqu’ici et justifie la proposition généreuse de Roberto Alagna de venir aux saluts en tenant l’ange par la main.

La beauté des éclairages, des décors, costumes et accessoires, le refus de l’orientalisme de pacotille, la recherche dans la mythologie zoomorphe de la Mésopotamie et l’archéologie crétoise, l’utilisation du mur à l’état brut, sans rien qui le surcharge ou dénature, les éclairages lyriques et une unique vidéo montrant la destruction du temple sans mettre le ténor en danger (on se souvient que la cause de la mort de Caruso fut la chute d’un élément du décor de Samson et Dalila), l’incarnation d’Alagna au sommet d’un art dont on se demande comment il peut sans cesse l’approfondir, tout contribue à la perfection de cette production si longtemps attendue.

Ci-dessus, les saluts, Samson et son ange.

Ci-dessus, Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies d’Orange et metteur en scène de Samson et Dalila.

© Jacqueline Dauxois

P.S. Les photos ont été prises au cours de différentes répétitions.

À Neuchâtel, Balzac, madame Hanska et Alagna

Ce chapitre n’est pas fini. J’y reviendrai peut-être. Ou je le laisserai inachevé, dans ce cas l’inachevé est achevé.

Concerts le 21 et le 23 novembre 2022

Chapitre I

LE BEAU PRÉTEXTE

Avec le beau prétexte des deux concerts d’Alagna,  le 21 et le 23 novembre, je venais retrouver Balzac.
Dès que j’ai parlé de Neuchâtel, Patrick Besson, m’ayant demandé de chercher l’hôtel de Balzac, ce sera très facile, disait-il, il n’existe plus, remplacé par un Macdo. S’il y a plusieurs Macdo, je le trouve comment, celui de Balzac ? Facile, je te dis, il a gardé le nom : « Faucon ». C’est là que pour la première fois peut-être, Balzac et Madame Hanska se rencontrèrent. Mais le mari ? Le mari, c’est simple, adorait Rossini, en fan, de loin. Balzac était ami de Rossini, il fournissait le mari en selfies, je veux dire en autographes et le mari regardait ailleurs.

La façade, au-dessus  du rez-de-chaussée défiguré par les enseignes, est sans doute celle que connut Balzac, aux étages on imagine une silhouette… ou deux, enlacées, peut-être.

L’intérieur est bourré d’ados criards, qui se hurlent dessus en allemand. J’ai pris la fuite avant qu’ils ne me clouent aux poteaux de couleurs comme les Peaux-Rouges dans le poème de Rimbaud.

LA RUELLE DES ÉCRIVAINS

Échappée du Macdo, la rue du Neubourg, celle des écrivains.
Petite, étroite, encaissée, un air de ruelle des Alchimistes à Prague, couverte des visages, si reconnaissables, de quelques géants de la littérature. Ignorée des dépliants touristiques. Tant mieux, il faut y être seule pour que la magie opère pendant ces quelques mètres qu’on traverse à côté de Chateaubriand, Balzac, Dumas père, Isabelle de Charrière, Percy et Mary Shelley, Rodolphe II, et, à la meilleure place, là où les murs s’écartent, Rousseau, évidemment.

RODOLPHE II, LEQUEL ?

Un seul auteur du Moyen-Âge parmi eux : Rodolphe II. Pas le mien. Le mien, c’est  : « Rodolphe II, l’empereur des alchimistes », plusieurs tirages y compris en poche, en Allemagne, Pologne, Amérique latine, en France rien, les Français n’éprouvent aucune curiosité pour le petit-fils de Charlemagne qui, ayant déplacé la capitale impériale de Vienne à Prague, ne parvint pas à dilapider tout l’or des Conquistadors dont il héritait, qui passait son temps devant les cornues à tenter le diable, cherchant la pierre philosophale et les secrets interdits, avec Kepler et cette bande de génies qui risquaient l’excommunication à fouiller dans les étoiles. Il avait apprivoisé un lion et, ainsi qu’il l’avait prédit, mourut le même jour que son fauve familier.

 Ce Rodolphe II, poète du Moyen-Âge, qui est-il ? Je n’ai pas encore cherché.

Mais c’est avec lui que les fils de l’invisible ont commencé de se nouer, d’un Rodolphe à l’autre, d’une diablerie à l’autre. Ce n’est que le début. On sent déjà le soufre et le souffre, ce sera Faust, par Alagna (à ce moment, j’ignorais le programme qu’il chanterait).

LES FILS DE L’INVISIBLE

Près de chaque visage, il y a une citation de l’auteur.
À côté de celui de Balzac :
« Neuchâtel, c’est comme un lys blanc, plein d’odeurs pénétrantes, la jeunesse, la fraicheur, l’éclat, l’espoir, le bonheur entrevu ».

La citation évoque la jeunesse, désir fou qui perdra Faust. D’après la citation (on ignore d’où elle est tirée), Neuchâtel n’aurait été pour Balzac que « l’espoir », le bonheur « entrevu » ?

Si Patrick ne se trompe pas, et sur ces sujets, c’est bien rare, quelle tristesse chez l’auteur du « Lys dans la vallée », car,  s’il n’a pas connu le bonheur à Neuchâtel, il ne l’aura jamais. Bien sûr, il épousera Mme Hanska à la mort du mari, trop tard, non seulement le mariage ne garantit le bonheur à personne, mais il n’écrivait plus, il n’avait plus d’argent, il gagnait des fortunes avec sa plume, mais il dépensait tout, et elle, l’épouse, ne voulait pas vivre dans la maison de Passy qu’il avait installée pour elle, mais sur ses terres, pour Balzac, si lointaines.

A ceux qui l’ignoraient encore, Aragon a annoncé que les histoires d’amour finissent mal : « Il n’y a pas d’amour heureux ». S’il ne figure pas dans la ruelle, un autre y est représenté, qui dit presque la même chose, ce Rodolphe II, inconnu de moi, au visage d’ange blessé : 
« En chantant, j’espérais alléger mes peines, si je chante, c’est pour m’en libérer ; mais plus je chante et plus j’y pense » .

Les tissages de l’invisible semblaient s’arrêter là, dans la ruelle, au XIXème siècle.

 Ils se sont prolongés jusqu’à aujourd’hui.

Jusqu’à Alagna.

Au premier duo de Faust, la phrase de Balzac s’est mise à bouillonner. L’écrivain évoque la jeunesse, Faust se vend pour la reposséder. Faust n’exige que du plaisir, Balzac espérait le bonheur. Curieux comme cette courte citation se démultiplie. Curieux aussi qu’on n’y trouve pas le mot amour. Mais Balzac est l’auteur des « Illusions perdues ».

Quant au concert, il n’a pas fini de révéler sa vérité.

Chapitre II

LE THEÂTRE DU PASSAGE

Le nom m’intriguait. Le Passage, on sait ce que c’est.

Au pluriel, il y a des passages dans des villes ; à Paris, ils permettent d’aller (presque) de la salle Favart à Montmartre.

À Neuchâtel, le théâtre n’est pas dans un passage, mais dans une pente.

Donc, le théâtre du Passage.

Il y régnait, dans ce théâtre, une bienveillance. On s’y sentait une personne humaine, à part entière. Aucun regard ne vous rejetait dans le néant. C’est agréable.

 Le soir du premier concert, sur scène, Rubén Amoretti, a exprimé sa reconnaissance envers celui qui n’avait cessé de l’aider. Il a dit combien d’autres avaient été soutenus par Alagna, qui gardent bouche close (c’est moi qui l’ajoute je n’ai pas entendu chanteurs ou chanteuses lui manifester en public leur reconnaissance).

Celle qu’exprimait Amoretti lui est montée aux yeux en larmes et à la gorge. Il n’a pas pu achever sa phrase.

Roberto est sorti du rideau et l’a serré dans ses bras.

L’émotion, partagée par la salle, les entourait d’une vague chaleureuse.

LES FILS DE L’INVISIBLE

Alors, les fils de l’invisible se sont noués si fort que trois airs ont émergé du programme.

Pourquoi trois? Parce que.

Chapitre III

ANGE PUR, ANGE RADIEUX

Le premier, « Rachel ».

 Le père (adoptif) laisse conduire sa fille au supplice. Contrairement à l’abominable Azucena, il ne prend pas plaisir à sacrifier son enfant, il en souffre. Dans la bouche d’Alagna, des vers de mirliton deviennent hugoliens, premier bonheur qui précède l’extraordinaire dédoublement. À travers lui, il la montre, elle aussi, Rachel qui le supplie de la sauver. Il chante cet air, sémantiquement si complexe, depuis sa  première jeunesse et fait naître chaque fois la même fascination.

1)Donc, on démarre avec une demande passionnée de vivre dans laquelle le ténor incarne à la fois le vieux tueur et la jeune suppliante

2)Le premier duo Faust /Satan (Alagna/Amoretti) apporte la réponse diabolique. Mais qu’il est beau, ce duo ! Servi par deux chanteurs dont la seule apparence physique, sans parler du registre vocal, crée un contraste idéal.  

Le vieux Faust maudit sa vie passé, son travail et son Dieu avec une violence qui évoque le credo satanique de Iago. À bout de malédictions, Faust invoque Satan, qui s’empresse. Faust, qui se vend pour revivre une autre jeunesse que la sienne, explose d’une joie féroce , « à moi les plaisirs », et avec une telle fougue, tant d’impétuosité et de promesses de rattraper un vie sage et studieuse par des débordements déchainés, qu’on le suivrait dans cet enfer rutilant de caresses, lui et son diable.

Mais la réponse du diable, n’est pas celle de la vie. Ce qu’il apporte, Satan, c’est l’esclavage pour l’éternité.
Faust se vend pour des plaisirs.
Marguerite voulait l’amour. L’amour c’est gratuit, c’est donner, pas prendre, c’est la liberté d’abord de l’autre, tout le monde le sait. Faust exige les plaisirs, c’est payant et sans fin. Aucune Marguerite ne  lui suffira jamais, mais la nuit de Valpurgis, n’est rien non plus, rien que du plaisir jusqu’à la folie des sens, la recherche exacerbée d’un assouvissement jamais atteint, il faudrait en mourir, on n’en meurt pas, on s’endort avant. Il le sait, à son âge.

Pourtant, il devient esclave, il a hésite, mais consenti.

Le concert déroule ses airs, solos, duos, trios.

 3) Il faut attendre le dernier trio de « Faust » qui apporte la réponse des anges. L’amour et la liberté.

Faust et Satan viennent chercher Marguerite pour la faire échapper au supplice. C’est à Satan qu’elle veut échapper. À Satan et à Faust, vendu au mensonge. Alors qu’il l’appelle, lui, ce vieux Faust rendu jeune, ce menteur et fornicateur qu’elle aime : « viens, viens, je le veux », elle supplie, comme si elle se bouchait les oreilles avec de la cire pour ne pas entendre la voix de la sirène : « Anges purs, anges radieux ».

Elle choisit la mort de la chair et la vie éternelle.

Le chœur chante la Résurrection.

Voilà comment trois airs racontent l’histoire du salut.

 Patrick Besson « Scènes de ma vie privée », roman, (Grasset)

 

S’il n’avait pas tant d’humour et d’esprit, ce ne serait pas lui. Cette fois, avant d’ouvrir son livre (Grasset), il tire la première fusée du feu d’artifice Besson. Sous le titre « Scènes de ma vie privée », on lit « roman ». Dans un livre, où on ne devrait pas rire étant donné le sujet, comment s’en empêcher quand ce joueur avec les mots se surpasse comme s’il voulait cacher ce qu’il proclame à longueur de pages : le désespoir de n’être plus aimé. C’est son sujet, Werther douloureux, Werther qui a l’âge d’être le père de Werther, qui souffre du même mal d’amour que son fils qui, lui, à l’âge du héros de Goethe, livre d’une génération d’hommes perdus, quinquagénaires, sexagénaires si fidèles à eux-mêmes qu’après un premier mariage, contracté à vingt-cinq ans, qui a duré qui a duré ving-cinq ans, ils recommencent, toujours pareil, avec une femme qui, toujours, a vingt-cinq ans. Mais eux ne les ont plus. « Eux », parce qu’en contre point des scènes de sa vie privée, l’auteur raconte les mariages parallèles de quelques amis du monde littéraire et artistique parisien qui est le sien. Pour se sentir moins seul dans une aventure qui peut finir très mal. Il pose la question et la retourne de tous les côtés de l’enfant, l’enfant qui préexiste à ces nouvelles noces et/ou celui va ou ne va pas venir, voulu ou refusé.

Lui, il est quitté après trois ans de bonheur. Ce n’est pourtant pas le roman d’une rupture, qu’il nous livre, c’est celui de l’après, dans les braises ardentes de tout ce qui, dans un amour passionné, refuse de périr. Parce que, s‘il est une chose qui ne vieillit pas dans l’être humain, c’est le cœur. À soixante ans, ce dérangeant organe est capable de tourmenter son propriétaire comme à quinze.

Contrairement à son ami d’enfance, le musicien, le narrateur des « Scènes » ne se suicide pas, il reprend pied dans sa vie, une autre et la même, il la contemple avec le même regard doux amer, piquant d’humour, moqueur parfois, où à chaque page il laisse trainer une ou deux phrases qu’on aimerait citer, mais alors il faudrait recopier la moitié du roman en une avalanche de citations à désespérer les penseurs professionnels, quand à Patrick Besson ce coup au cœur est un coup de jeunesse parce qu’en réalité ce n’est pas seulement un roman qu’il sort à cette rentrée, c’est trois livres coup sur coup, ce roman de sa vie privée, un texte sur « Jokovitch le refus » (Louison éd.) qui lui a tout de même valu d’être reçu par le président de la Serbie et en janvier : « Est-ce ainsi que les hommes vivent » (Albin Michel), un recueil de ses chroniques hebdomadaires. C’est ça vieillir ?

Sensible et attachant, émouvant, triste et drôle, un Besson mémorable.

©Jacqueline Dauxois

Roberto Alagna et les six morts de Mario Cavaradossi, Met 2022

UN HÉROS STENDHALIEN

Mario Cavaradossi, le héros qui meurt six fois en Roberto Alagna au cours de cette série newyorkaise (4 spectacles en mars 2022, 2 à l’automne, six mois plus tard), appartient à une génération qui fascina tellement Stendhal que personne ne s’étonnerait de trouver son histoire dans les « Chroniques italiennes ».

Mais qui est-il ? 

Un peintre amoureux d’une cantatrice renommée, Tosca (acte 1), enflammé secrètement pour les idées de liberté répandues en Europe par les armées de Bonaparte.
Un artiste célèbre puisque les autorités pontificales, certainement informées de ses choix politiques, lui ont commandé non un sujet secondaire, mais une Marie-Madeleine, la plus grande sainte de la chrétienté, « égale aux apôtres » (« Marie-Madeleine », Jacqueline Dauxois, Flammarion 1998).

Tombé entre les mains de Scarpia, chef de la police pontificale (acte 2), Mario défie le pouvoir qui pactise avec l’occupant autrichien faisant claquer comme un drapeau son rêve immense qui le conduit à la mort (acte 3). Il le sait.

Il le dit au début de l’acte 3 dans l’un des plus beaux airs de de ténor qui semblent avoir été écrits pour Alagna « E Lucevan le stelle ».



DU LUCEVAN À LA RAFALE

E lucevan le stelle,

Ed olezzava la terra

Stridea l’uscio dell’orto

Ed un passo sfiorava la rena.

Entrava ella fragrante,

Mi cadea fra le braccia.

O dolci baci, o languide carezze,

Mentr’io fremente le belle forme

Disciogliea dai veli !

Svani per sempre il sogno moi d’amore.

L’ora è fuggita, e muoio disperato !

E non ho amato mai tanto la vita !

Et brillaient les étoiles

Et embaumait la terre

La porte du jardin grinçait

Et un pas glissait sur le sable.

Elle entrait parfumée

Et tombait dans mes bras.

O doux baisers, o languides caresses,

Je tremblais découvrant sa beauté

En écartant ses voiles!

Il sombre pour jamais mon beau rêve d’amour.

Le temps à fui, et je meurs désespéré !

Et jamais je n’ai tant aimé la vie !



Avant d’être fusillé, pendant quelques minutes, il est seul, debout, en face du peloton. Au lieu d’une croix, les soldats lui ont mis dans la main une lanterne pour qu’il éclaire lui-même son exécution, rendue plus tragique par l’abandon de Tosca. Elle est là, pourtant, présente mais si absente, l’ayant abandonné deux fois, en tuant Scarpia (on pourrait peut-être discuter si c’est un abandon) et puisqu’elle est persuadée que l’exécution sera un simulacre, gavant son amant de conseils à la résonance insupportable tant ils sont décalés de la réalité : la mort qui s’approche de Mario. Ici, l’abandon ne se discute plus. Mario le sait puisque, pas une fois, pendant ces « instants suprêmes », son regard ne cherche celui de Tosca. Il quête tout autre chose.

Pendant les quelques minutes où il attend la mort, il ne se passe rien, les soldats arment les fusils et vont tirer. Mario attend avec sa lanterne. Le ténor n’a rien à chanter et rien à faire qu’à attendre, sa lanterne à la main. Il pourrait ne rien se passer.
Dans ce temps vide, Roberto Alagna, comble un vide et engage un dialogue muet, dans lequel Alagna acteur répond à Alagna ténor du début de l’acte. Comment peut-il, lui qui n’a jamais attendu qu’un peloton l’exécute, accéder et nous faire accéder à cette attente de la mort que nous allons vivre tous, un jour.



Pendant « Lucevan », lorsque Mario lève les yeux, on peut dire qu’il regarde dans les étoiles son rêve d’amour qui le transportait au paradis des amants. À la fin, où il ne regarde jamais Tosca, mais le Ciel, c’est autre chose que cherche son regard dans une quête d’autant plus extraordinaire que, dans la logique du désespoir, qui est refus de Dieu, comme le Condamné du dernier jour (« Le Dernier jour d’un condamné », David Alagna, d’après Victor Hugo), il refuse l’assistance d’un prêtre.

Mais que ce prêtre, dont il ne veut pas, lui présente la Croix, (sauf, une fois, la troisième), il embrasse la croix et prie. Il rejette la religion, émanation d’un pouvoir politique oppresseur. C’est Dieu qu’il veut, lui, qui exerce son art dans une église de Rome au moment où il est arrêté.


Pendant lsix « Lucevan », le Mario d’Alagna avait les yeux dans les étoiles. Le sixième soir, son regard a exprimé une volupté païenne, il y cherchait peut-être une image idéale de l’union d’Éros (o dolci baci, o languide carezze) et Thanatos (muoio disperato) qui va se résoudre, au moment de l’attente de la mort.

Cette attente de la mort qui est une scène vide.
Dans ce vide, Alagna en Mario, six fois, creuse le contraste avec « Lucevan » et introduit ce désespoir qu’il ne montrait pas lorsqu’il le chantait. Qui donc manquait.

Cet écho, d’habitude zappé, cette inversion, cette complétude, a acquis toute sa puissance le dernier soir, dans une transe poétique au lyrisme halluciné qui transporte Mario du désespoir à l’espoir.



2022 AU MET, LES SIX ATTENTES DE MARIO, QUATRE EN HIVER DEUX AU PRINTEMPS

Dans le premier spectacles de l’hiver, le Mario d’Alagna évoque un oiseau affolé, les pattes dans la glu, qui se débat, cherchant à échapper au piège mortel. Effroi brut, viscéral, primitif des animaux de Pompéi, qui savaient avant leurs maîtres que la mort approchait.
Au deuxième, ses tempes battent, les veines de son cou s’enflent, mais, lui, comme il empoignerait un cheval au mors, de toutes ses forces, contient les sentiments qui le dévastent, attitude socratique qui s’affirme le lendemain dans une attente, la plus paisible de toutes. C’est la seule fois où il n’a pas embrassé la Croix, mais s’est incliné pour prier, la seule aussi où il a gardé les yeux clos tout le temps. Sans rien chercher à l’extérieur de lui-même sur la terre ni au ciel.

Dehors, cette nuit-là, il neigeait de petits flocons roides et piquants.

La quatrième attente de Mario est un retour au piège du premier soir, mais plus rien en lui n’évoque alors un oiseau captif. L’instinct animal a disparu. C’est un homme totalement conscient, l’Homme innocent qu’on a englué, qu’on va assassiner, qui ne veut pas mourir. Qui sait qu’il va mourir. Et garde les yeux ouverts.

Chaque nuit, en sortant, on se disait qu’il ne pouvait pas donner davantage, que revenir serait risquer cette plénitude, seulement c’est lui, on revenait, bien sûr.

Il ne le fera pas ensuite, mais au creux de l’hiver, quatre fois, alors que, de la main gauche, il est obligé de soulever lui-même la lanterne pour que les soldats le visent bien dans l’obscurité, il soulève aussi l’autre bras, évoquant le Christ en croix.

Pendant les deux nuits d’automne, six mois après les quatre premières, il n’a plus besoin d’extérioriser une image christique et le crescendo, dont on croyait que le quatrième soir d’hiver marquait le terme, se révélait un palier dans la montée vers le sixième et dernier soir de la série.

Le dernier soir, donc, il fut l’ incarnation de la poésie lyrique venue de la nuit des temps, Apollon et Dionysos confondus, et celle du pari de Pascal. Comment il a fait ? On ne sait. Que savait-il, lui, de ce dont il rendait compte, ce soir-là ?  Comment la vérité était-elle en lui si profondément, absolument, totalement inscrite, pour ressurgir avec l’évidence d’une pareille spontanéité ? Il révélait les doutes, le désespoir et le jaillissement de l’espoir de notre humaine condition en face de ce qui nous attend, après : le néant ou l’absolu sacré.

En quelques instants sur scène, il a récapitulé sur son visage, l’intuition millénaire de la mort et de l’au-delà qui, depuis l’« Antigone » de Sophocle, traverse la littérature profane et sacrée. Nous agonisions tous avec son Mario. Comment pouvait-il vivre sur scène ce qu’il n’a pas vécu ? Il ‘y avait plus de scène. Comment peut-il avoir une conscience aussi profonde de la mort qui approche et révéler une vérité à ce point universelle à travers le particulier ? C’est le cœur du mystère de son art, qui le rend capable de montrer, à travers les minutes de supplice vécues par son héros, l’homme, toute l’humanité, placé devant la mort imminente. Il a exploré ce moment six fois (sans parler de toutes les autres qui ont précédé cette série) pour, le dernier soir, atteindre une révélation partagée avec son public.

LE CHANT ET LE SILENCE



Son regard glissait de l’effroi intolérable, les yeux égarés, ses dents, qu’on n’avait jamais vues les cinq autres fois, paraissaient grincer de désespoir. Il fouillait les étoiles. Interrogation. Il questionnait le Ciel. Doutes. Avant l’éclair de feu, au fond de ses yeux, il y a eu une flamme autre. Mario, ignorant peut-être ce que c’était, faisait le pari de Pascal. Refus du néant. Pari que Dieu existe. Nous en frissonnions. Un éclair encore dans ses yeux. C’était la prière du bon larron sur la croix. Peut-être. Sûrement.

C’est ainsi que cette nuit du 4 novembre 2022, Roberto Alagna fut le phare qui a conduit la salle dans un (sans lui) inatteignable ailleurs. Chacun a vu ce qu’il voulait/pouvait, chacun a pris son rayon de lumière.

Très jeune ce soir-là, les vieux ayant renoncé à être des vieux, le public recevait avec passion-, porté, transporté, déporté par Alagna jusqu’à l’âme d’un peintre, qui n’a rien d’un mystique mais qui, confronté à son heure dernière, jette tout son être dans l’avant-mort et, du désespoir halluciné (muoio disperato), nous étions tous mourants et tous désespérés, ayant levé des yeux fous de terreur, nos larmes se pleuraient, entrevoyait l’espoir d’un Ciel prêt à le recevoir. Ses yeux basculés vers la voûte céleste, brûlant du désir de la voir s’ouvrir, lançaient dans le silence, le cri de victoire de l’Acte II, mais il appelait une autre victoire, son regard suppliait comme le bon larron, et, à l’instant de la rafale, le silence de Mario proclamait : « Mort, où est ta victoire ? » Nos cœurs battaient avec le sien. Les balles foudroyaient le héros d’Alagna qui est aussi le nôtre.

©Jacqueline Dauxois

(On peut lire les trois textes indépendamment, néanmoins voici les liens pour les deux articles qui précèdent :

https://www.jacquelinedauxois.fr/2022/03/11/au-metropolitan-aleksandra-kurzak-et-roberto-alagna-dans-tosca/(ouvre un nouvel onglet)

https://www.facebook.com/profile.php?id=100032304622591  )