« Crucifix » et Résurrection, Pâques covid, Pâques carillonnées

Samedi 11 avril 2020

Pâques approche, Pâques est là.
Qui va carillonner les cloches ?

VENDREDI SAINT
« CRUCIFIX »

Ci-dessus : dessin de Victor Hugo avec un crucifix.

Le Vendredi saint, les cloches se taisent pendant les trois jours de l’ensevelissement du Christ pour s’ébranler à toute volée au matin de Pâques.
Il y a trois générations, dans cette ville presque italienne et entièrement confinée, le Vendredi saint, vous n’aviez pas un magasin ouvert. On racontait aux enfants que les cloches ne sonnaient plus jusqu’à Pâques parce qu’elle étaient parties à Rome. Ce qu’elles allaient faire à Rome, les petits, qui n’en savaient rien, écarquillaient les yeux. Les parents racontaient qu’elles allaient à Rome se faire bénir et qu’au retour, elles apporteraient des œufs en chocolat.


Dans les maisons, on s’activait, on préparait les plus belles étoffes, les dessus de lit en mousseline, en dentelle, brodés au tambour, incrustés de perles et de fils dorés, les nappes de damas et tout tissu brodé. Le jour de Pâques, ces merveilles dont personne aujourd’hui ne veut plus chez soi tellement elles exigent d’entretien, jetées en travers des fenêtres, formaient un ornement mouvant le long du chemin de la procession.

Dans cette ville, sur un sommet, il y a un parvis, une basilique, une église, un Campanin. La rampe Saint-Michel qui y conduit est pavée de galets. Sur les côtés des échafaudages, couverts de plastique opaque blanc, figurent de grands linceuls flottants. Personne n’a plus le droit de travailler sur les chantiers, les échafaudages vont rester, jusqu’à quand? Ces houses de plastique claquent aussi au vent sur le Parvis désert, celui du Festival de Musique le plus ancien de France, qui cet été, sera probablement, comme les autres, annulé. Le Campanin c’est le clocher de la basilique, dédiée à l’Archange, au fond, sur la droite, l’église que les Pénitents Blancs (les Noirs sont au bas de la rue) se partagent avec la Madone puisqu’elle porte les deux noms. Cet ensemble, pur baroque italien, planté sur la colline au-dessus de la mer, regarde l’Italie qui fait une courbe pour former une sorte de lac.
Sur ce parvis, ont résonné tant de musiques, se sont produits tant de musiciens, on a entendu tant et tant de merveilles. Cette année, il serait silencieux pour la première fois depuis soixante-dix ans ?


Roberto Alagna n’y est pas venu, mais il a chanté sur la frontière franco-italienne, un endroit qui lui va bien, à lui, le franco-sicilien, mais c’est le parvis qui semble fait pour lui. L’architecture sans surcharge et les couleurs, ocre et or, tout lui irait si bien. L’année dernière la fragile Patricia Petitbon et son « Alchimia » déjantée a d’abord stupéfié cette architecture – qui, pour finir, s’est laissée envoûter par son chant.

Image d’un rêve : Roberto Alagna devant le Campanin de Saint-Michel archange.

Au soir de ce Vendredi saint de l’an coronavirus, Roberto Alagna a posté « Crucifix » pour tous ceux qu’il sait malheureux, lui qui doit l’être encore plus que nous tous réunis, de ne pas espérer l’entendre bientôt. Pour lui, c’était aussi son année Caruso.
Il a pris un poème d’un auteur qu’il aime (voyez Le Dernier jour d’un condamné qu’il a interprété plusieurs fois sur une musique de son frère David) : Victor Hugo.
Le poème, qui se trouve dans Les Contemplations, a été écrit en mars 1842 au pied d’un crucifix.
Il a été chanté avant Alagna qui l’a recréé.

La nuit du Vendredi saint, c’est la nuit du tombeau. Le Christ est enseveli.
Cette nuit, Roberto Alagna a mis en ligne « CRUCIFIX ».
Ci-dessous, le lien à recopier pour l’écouter :

youtu.be/zYTYiXYNQcE

Ci-dessus : les deux premières pages de la partition.
Un bug informatique m’a fait perdre la suite.

Sur le quatrain de Victor Hugo et une musique de Jean-Baptiste Faure, on entend les voix de Marcel Journet, Enrico Caruso et Roberto Alagna.
On retrouve dans ce clip l’attention que porte Alagna à son public auquel il aime faire découvrir des musiques et des textes hors des sentiers battus. Avec une correspondance idéale dans les mixages des voix et des images, le montage de Stella Orion est très réussi.

SAMEDI SAINT

Samedi, le Campanin sonne les 10 coups de 10 h. Le parvis est désert. Dans le silence complet, qui est retombé après le dixième coup, pas un cri d’enfant, pas une guitare, un pigeon nostalgique boitille sur les galets. Les plastiques blancs n’ont pas la force de claquer.
Devant la basilique, il y a toujours l’annonce des heures de visite et des messes, en deux endroits, bien en vue, comme si de rien n’était, comme si les flots de touristes, aux heures de visites, et de croyants, aux heures des messes, se bousculaient pour entrer. C’est stupide d’imaginer que demain, ici, sera célébrée la messe de Pâques. Mais c’est écrit. Deux fois même. Alors, un homme s’est approché, sans groin ni lui ni moi. Je me souviens combien il était beau, le bleu des yeux dans le visage caramel. À bonne distance pour ne pas m’effrayer, je ne l’étais pas, il m’a dit : Ne vous fiez pas à l’affiche, il n’y a rien. Et il a disparu en faisant un signe de la main, comme une bénédiction, de loin.


Il n’y avait plus que les annonces sur le parvis. Elles datent d’avant le confinement. Personne ne les a enlevées depuis. Peut-être, le prêtre est-il malade. En période de pandémie, c’est une profession à risques. Soignants des corps et des âmes, personnel médical et religieux, ils sont les premiers face à la mort. Mais les chrétiens, qui n’espèrent pas l’immortalité sur terre, n’ont pas oublié qu’il faut mourir. Ce n’est pas dire qu’ils en ont envie, mais ils préfèrent l’affronter, quand elle viendra, si possible debout.
Demain, ces soignants et ces prêtres qui sont morts les premiers, seront aussi les premiers pour la Résurrection.

RESURREXIT !

Cette nuit, après avoir écouté Crucifix, lisez, dans la prophétie d’Ézéchiel, de quelle manière extraordinaire l’Ancien Testament annonce le Nouveau :

Je ne connais pas d’autre texte où l’on assiste, comme si on était au cinéma, à la résurrection des morts, où on les voit redevenir vivants. Une qualité littéraire d’une telle puissance fait dresser les cheveux d’espérance la veille de Pâques.


Demain, c’est la Résurrection du premier-né d’entre les morts.
Demain Marie-Madeleine trouve l’ange près du tombeau et le sépulcre vide.
Demain, le Christ est Ressuscité !
C’est la joie dans le monde.

Et le Campanin ? Et les cloches, demain ?

Les cloches vont carillonner à toute volée.
Dans le fond de nos cœurs.

Ci-dessus : quand les cloches de Pâques carillonnaient pour les fidèles.

© Jacqueline Dauxois

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