Londres avec les lunettes de Turandot

Rien de plus curieux qu’arpenter une ville, quand on a dans la tête un livre ou un opéra. On voit alors le le monde avec de drôles de lunettes. En juillet, j’ai vu Londres  avec les lunettes de Turandot.

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Londres chinoise

Tout part de là, du Royal Opera House, à Covent Garden, qui donne Turandot avec Roberto Alagna.

 

    Ci-contre le ROH, Royal Opera House.

 

Ci-dessus, Roberto Alagna dans le rôle de Calaf au Royal Opera House de Covent Garden.

 

Ci-dessous, la salle vide, lors de la générale fermée de Turandot.

Au début de l’Opéra, la foule chinoise grouille sous les remparts de la Cité Interdite. À Covent Garden, elle est là aussi, la foule chinoise. Détail authentique, au centre, non pas Calaf, le prince étranger, mais une étrangère, seule du lot à n’être pas chinoise.

Les étrangers se regroupent, comme Calaf retrouve son père et Liù.

La foule, des visages, des masques.

Les chœurs d’enfants de Puccini, chinois ou pas, sont étalés sur les pelouses. Ils n’ont pas oublié les casquettes jaunes.

Et lui, le jeune homme de la publicité, en photo plus grand que nature, collé sur son bus, qu’on mène où il n’a pas envie d’aller, figure le prince persan conduit au bourreau pour n’avoir pas su déchiffrer les énigmes de Turandot. Son visage traduit la même tristesse que, sous son masque, le figurant dont personne ne verra le visage.

Le prétendant est conduit au bourreau comme le mannequin est conduit par le bus.

La tête sur le billot.

 

Turandot ne fait pas grâce.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Là où on croit que Winston Churchill chemine au milieu des nuages, c’est le   Fils du ciel qui descend des hautes sphères pour tenter de décourager sa fille de faire tomber les têtes prétendants.

 

 

 

 

 

 

 

Les anonymes que Turandot fait bâtonner dans les rues de Pékin

sont là aussi, en ville, dans leur misère, tombés aux coins des rues.

La plupart n’ont plus même le courage de dissimuler leur visage sous le masque d’une couverture ou de leurs poings fermés.

  

 

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Sur les pas de Puccini

Puccini est allé au British Museum, se renseigner sur les anciens instruments de musique chinois. A l’ouverture, la file d’attente s’étire, c’es une foule asiatique.. Reste à espérer qu’ils ne nourrissent pas tous une passion inconsidérée pour les instruments de la Chine ancienne. Non, ils foncent vers les momies. Mais, à l’accueil, ils sont formels, le département est fermé jusqu’en novembre. Impossible de jeter le moindre coup d’œil, même à travers les bâches, ils ne sont pas certains qu’il y ait des bâches. Il reste deux salles ouvertes, les céramiques, si je suis intéressée. Par la vaisselle, non pas du tout… mais Puccini, peut-être, il aimait ça, et peut-être il y est allé même sans trop aimer, curieux de tout comme il l’était. Il faut tout traverser de part en  part et grimper deux étages, à pied plutôt qu’avec les ascenseurs où déjà on se bouscule. Dans les salles chinoise,  déjà les guides avec leurs tours, bloquent les plus belles pièces. Alors, les photos c’est entre les dos qu’on les attrape, comme Alagna dans sa loge bondée des soirs de première ou à la sortie des artistes, pas bon du tout pour les petits. Enfin, voilà ces céramiques.

Le jaune et le bleu des vêtements de Liù, et de Calaf.

 

Et, dans la rue, une petite Liù, version 2017, a oublié de s’habiller de jaune.

 

 

 

 

 

 

Le jaune et le bleu de cette barque à touristes qui se promène en ville :

Et la statuette orangé ?

Elle a inspiré la couleur des costumes des trois P, Ping, Pang, Pong.

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Les masques

Les masques et les dragons sont partout présents dans cette production, terrifiants parfois.

En ville aussi, on les trouve partout, de Chinatown au British Museum.

Même lisses et blancs, ils sont troublants.

Bien plus que ceux de pacotille qui s’étalent en pile sur les rayons de la boutique du British Museum.

Beaucoup sont rouges.

 

Le bourreau est vert, inspiré par tous les dragons de la Chine,

ceux du british Museum,

 

 

 

ou ceux qui se balancent dans les boutiques de Chinatown, pas vraiment ressemblants aux étranges figures qui ornent le haut de la scène du Royal Opera House.

Même en cherchant, on ne trouve rien de tel sur un visage, même peint de couleurs non-humaines, comme celui des amuseurs de rues.

Le plumet des gardes de Turandot n’aurait rien d’inquiétant, sans le masque qu’il domine de sa crête.

 

 

 

 

 

 

 

Comment ne pas les évoquer devant la garde de Sa Majesté ? Les plumets se ressemblent trop. À onze heures et demi, tous matins, la relève de la Garde attire les badauds.

Ces plumets, tout de même, quand on a vu Turandot, presque, ils vous feraient un drôle d’effet… si ce n’est qu’un gamin éclate de rire parce qu’un cheval a lâché des boulets de crottin fumant.

 

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Rouge partout

 

D’abord habillé en bleu, Calaf porte du rouge au troisième acte. Turandot, passe du rouge au blanc.

Le rouge, en ville, il est partout. Le théâtre d’abord, il n’est pas la ville, il est en ville. Rouge et or. Dans la salle presque vide de la répétition générale, règne le merveilleux silence des lieux magiques dans l’attente du spectacle. On chuchote à peine, les mots indispensables, pas un de trop dans la salle dont les guirlandes de lumières dessinent les étages. Le rideau est ouvert, somptueux, dominé par les armes de l’Angleterre, en haut. Dans le bas, quand il est fermé, le monogramme de Sa Majesté la reine Elisabeth II. La représentation finie, avant de se rouvrir pour les saluts, il y a ce rail de lumière encore, comme un instant suspendu qui va se refermer sur la fin  d’un rêve.

Et c’est beau.

Ci-dessous : la salle du ROH, le rideau avec les armoiries de l’Angleterre, le monogramme de la reine Elisabeth et le rail de lumière quand il s’entrouvre ou se referme.

Pour Turandot, le Royal Opera House met rouge sur rouge.

Rouge, la ville est toute de rouge tachetée.

La boutique de L’Opéra est en travaux. Côté marché, les portes provisoires sont d’un rouge éclatant. Rouges aussi les canards laqués de Chinatown

     

De l’autre côté, les cabines téléphoniques du temps passé, jolie déco.

Les pubs rouges sont à foison.Les bus.

Ci-dessous, c’est plutôt un autocar à touristes qui passe, rouge,  derrière le monument, noir, aux femmes de la dernière guerre.

Des collections de bus transformés en jouets dans les boutiques du Covent Garden.

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La route fermée, en rouge, c’est l’accès au pont de Westminster où on termine la pose de plots et de barrières pour empêcher les terroristes de foncer massacrer la foule sur les ponts.

Rouge, le cœur dessiné sur le pont de Westminster, où les passants vivants n’oublient pas la mémoire de ces autres passants, innocents, massacrés là par des barbares.

Rouge, l’appariteur qui, devant l’abbaye, fait tenir tranquilles les touristes en longues files de patience.

Rouge, le T-shirt de la fille aux pigeons de St James’s Park.

Même Les Misérables de Hugo sont aux couleurs de la Chine, rouge l’affiche.

À Chinatown, le rouge et le bleu se font une joyeuse guerre comme Calaf qui, au début, porte sa tunique rouge, sous son vêtement bleu dont on voit un liseré.

 

Turandot finit bien. En principe du moins.

Comme dans les contes de fées, on s’interroge un peu tout de même. Comme aussi dans le cas de Rodrigue et Chimère : est-ce que Chimène oubliera que son bel amant a pourfendu son père ? Est-ce que Calaf ne se demandera jamais si les mains qui, si ardemment le caressent, ne risquent pas un jour de redevenir des mains de bourreau ? Est-ce qu’il oubliera ? Chi lo sa ?

A la fin de l’opéra, Calaf et Turandot sont heureux. Comme sur le quai où ces deux mariés japonais ont passé un bon quart d’heure à poser en faisant semblant de s’embrasser, sans jamais conclure.

 

Calaf était plus amoureux.

Toute la salle debout criait sa joie. Alagna a joué à se frapper les mains avec le chef.

Et puis il a salué. Aleksandra Kurzak, à sa droite, Lise Lindstrom à sa gauche et le chef, Dan Ettinger.

Dans sa loge, les bottes de Calaf sont restées toutes seules, en attendant d’être emportées et rangées jusqu’à la prochaine représentation.

Pour un supplément de Calaf, c’est dans la rue qu’il faut chercher,

pas à la sortie des artistes où Roberto Alagna a un autre visage.

 

 

 

 

 

 

FIN

 

P.S. Ci-dessous, en 1992, l’auteur en Chine, au milieu de gamins d’une tribu des Han, dans les montagnes du Sud.

La Chine éternelle était aux couleurs de Turandot, bleue…

 

et rouge et bleue :

© texte et photos Jacqueline Dauxois

 

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