Roberto Alagna de Neuchâtel à la Corogne, deux concerts, cadeau de Noël 2022, splendeur du chant et théologie du salut.

Du théâtre du Passage de Neuchâtel (21 et 23 novembre 2022) au Cólon de La Corogne (7 décembre 2022), les deux concerts de Roberto Alagna qui clôturent l’année, atteignent cette perfection qui est sa marque de fabrique dans une progression sémantique en accord idéal avec le temps de l’Avent.

« Kuda, kuda », écho à la supplication de Rachel, chanté en russe avec la même souveraine aisance que les cinq ou six autres langues du concert, est à la fois une confrontation du héros avec sa propre mort et la demande, récurrente chez le héros romantique, faite à la bien-aimée, de venir sur sa tombe en même temps qu’une prémonition fulgurante : Pouchkine sera tué en duel comme son héros,.

PARCOURS D’ÉTERNITÉ

Car la mort n’est pas la mort, la mort chrétienne n’est que la fin terrestre d’un parcours d’éternité.

À la Corogne, Alagna lui fait frapper les trois coups : mort de l’enfant (« La Juive »), mort du héros (« Eugène Onéguine »), mort de la mère (« Fedora ») qui arrache les larmes, « Vedi io piango ».

Avec « Mein lieber schwan » l’image christique, troublée par les remous des légendes du panthéon germanique wagnérien, est rétablie avec une puissance éclatante lorsqu’Alagna fait culminer la tragédie humaine avec le cri hugolien : « Non, je ne suis pas un impie », du condamné à mort qui réclame un prêtre capable de lui ouvrir le Ciel – et la sublime prière de Rodrigue.

Le personnage de Rodrigue à l’Opéra, le soldat chrétien qui s’en remet à Dieu, ayant tout accepté, la perte de son amour et la privation de sa victoire, ne doit rien à Corneille. Dans la pièce, la religion du Cid n’a aucune influence sur l’action (vraisemblable à l’époque de Corneille, invraisemblable à celle du Campeador). Par ailleurs, sans la vision, les voix, saint Jacques (La Corogne est à une heure de voiture de Santiago) et la prière, la deuxième partie de la pièce s’enlise. Dans une langue d’une indiscutable beauté certes, Corneille en est réduit à reprendre le thème qu’il vient d’épuiser : l’honneur vengé et l’honneur à retrouver. Sans un nouveau ressort, il tourne en rond jusqu’à la fin heureuse, pur artifice destiné à flatter le roi. Il est évident que Chimène doit être expédiée au couvent, Rodrigue massacré dans la bataille ou épouser une splendide Sarrasine qui lui offrira un royaume de l’autre côté de la mer. Mais à cela, même le livret, qui a utilisé le ressort divin pour faire repartir l’action, ne s’y est pas risqué.

Ce n’est donc pas dans la littérature mais au cœur de son univers, l’« inaccessible étoile » de son adolescence (cf : « Je ne suis pas le fruit du hasard »), l’Opéra, que Roberto Alagna a trouvé le chemin égaré par Faust (Théâtre du Passage) qui se damne pour les plaisirs de la terre (et chaque Faust en nous alors a frissonné) – alors que Marguerite, qui choisit la mort ici, et la vie éternelle là-haut, nous restituait l’espoir.

La mort résurrection de Marguerite est la réponse à Faust et à Satan. C‘est la mort d’une martyre.

En laissant éclater sa foi dans la prière : « Ô Souverain, ô juge, ô Père », Rodrigue montre le chemin du Ciel que tous peuvent emprunter.

Lorsqu’il fait le signe de Croix sur scène, Roberto Alagna est, comme Rodrigue, au sommet, le Cid dans l’héroïsme guerrier lui, dans la splendeur du chant. Les regards sont sur eux, pour beaucoup ils sont des exemples. Chantée par Alagna, avec cette jeunesse, cet héroïsme et cette ardente ferveur, la prière du Cid transfigure tout, sa voix, le plateau, le théâtre et le monde que chacun porte en soi.

Le signe de la Croix est à lui.

Dans un concert, aucun metteur en scène ne le contraint, il s’habille comme il veut, sobre, élégant, et fait ce qu’il veut.

Il veut deux signes de Croix.

Il nous les donne.

Nous allons les garder au cœur.

Ils sont l’empreinte de la cire impressionnée par le sceau, on va se quitter dans la joie de bis entrainants qui font danser tout le monde, mais l’empreinte est là.

Elle reste. Jusqu’à ce que la main de l’Ange vienne briser le sceau.

DEUX SIGNE DE CROIX

C’est ainsi qu’à quelques jours de la naissance du Sauveur, Roberto Alagna, le ténor qui s’est signé deux fois sur scène avec une magnifique audace, montre le chemin de lumière où les larmes seront essuyées.

Ce qu’il désigne, par la grâce d’une voix qui est un don du Ciel, c’est la Voie qui s’élève jusqu’en haut.

Merci, Maestro.

BILAN

Commencée avec le concert de l’UNESCO, l’année 2022 s’achève avec celui de la Corogne. Entre les deux, il en a donné plusieurs, qu’on croyait tous insurpassables et, pour la première fois, il a abordé l’œuvre d’un compositeur contemporain, vivant, mystique : le « Stabat Mater » d’Arvo Pärt. Sans comprendre les paroles, on comprenait tout, il suffisait de regarder son visage poignant aux yeux fermés, on y lisait le mystère douloureux de la Vierge devant son Fils crucifié.

Côté opéras, il a chanté pour la première fois en public « Lohengrin », son premier Wagner, à Berlin, dans un allemand suave, idéal, et « Fedora », à Milan (voir les articles WordPress pendant le Covid), des rôles faits pour lui dans deux mises en scènes décevantes, où il fut, comme toujours, parfait.

©Jacqueline Dauxois

PS : De nombreux sites de journalistes commentent toutes les manifestations musicales possibles. Vous y trouverez des informations exhaustives en abondance.

Ici, non.

Ici, vous êtes sur la page d’un écrivain qui, à la suite de Montaigne, butine son pollen où il le trouve.

L’écriture, je ne peux la forcer à rien, je me détruirais moi-même, autant sauter par la fenêtre.

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