Chorégies d’Orange 2020, une « nuit magique » à la gloire de Roberto Alagna

Comment entendre « Vois ma misère, hélas, » dans cette solitude désertique géante, sans avoir le cœur serré, lorsque le sien doit l’être aussi et qu’on attend son Samson devant ce mur, depuis si longtemps !
Jean- Louis Grinda l’avait programmé cette année… pour le mois dernier. C’est reporté d’un an. En attendant l’opéra qui va marquer le retour d’Alagna à Orange, Grinda offre cette « nuit magique » et Alagna se jette dans cet air déchirant, devant un hémicycle solitaire jusqu’au dernier gradin. La magie est au rendez-vous dès qu’il ouvre la bouche.


Le désespoir de Samson à genoux monte vers Dieu et l’émotion fait pleurer les écrans troublés et émus aussi bien qu’un gradin.

ELLE : L’IMPLORATION

Avec « O mio Babbino caro », où elle est si touchante, avec des notes filées dans le cristal qui semblent des cheveux d’ange, Aleksandra Kurzak, qui s’adresse à son père ou bien plutôt, ici, dans ce contexte, au Père, avec une irrésistible intensité, fait lever un rayon. Comment le Père pourrait-Il résister à cette voix aux intonations tendres et douloureuses, à la beauté de ce visage émouvant où vibrent inquiétude et espoir ?

Le duo de l’Elisir d’Amore, qui lui succède, célèbre alors une joie que les chanteurs veulent partager avec les lointains écrans. Rien d’étonnant si Alagna a évoqué Fred Astaire et Ginger Rogers, car ils dansent cet Elisir autant qu’ils le chantent. Aux premières notes, ils investissent dans sa totalité le plateau de cent mètres de long.
Roberto a l’habitude de cet espace gigantesque, il y est un dieu.
Aleksandra a su faire siennes ces planches en un instant.

La grâce de leurs gestes accompagne la pureté de leurs voix, cristal et velours – et les écrans époustouflés ont cru que rien n’était plus simple et facile que de devenir un divo, une diva, ce miracle sur scène : un autre que soi pétri dans et par soi.


Alagna le fait depuis trente ans pour son public fou de lui.
Aleksandra a rejoint le guépard magnifique et ils font la démonstration que c’est un couple qui règne.

EUX

L’allégresse de chanter qu’ils expriment dans leurs corps tout entiers ressemble à celle des rossignols aux premiers jours du printemps. Ils réussissent l’incroyable : ils font oublier qu’ils sont seuls devant cet espace démesuré, privé de tout spectateur. Les gradins semblent noirs de monde, l’hémicycle rempli à craquer, frémissant, applaudissant. C’est la magie qui était annoncée.

La mise en scène d’Alagna, où Aleksandra se coule avec bonheur, malice, complicité et tendresse, est une vraie joie, totale ,qui charme les yeux autant que des oreilles des malheureux écrans.
Le pianiste, lui, n’en revient pas de devenir le confident de cet étincelant Nemorino.
Le piano stupéfait accueille l’intrigante bouteille et se demande ce qu’il a pu mettre dedans pour faire, après un pareil giclement de bulles, cette coulée de lave blanche.
Le plateau s’est mis à respirer de toute sa poitrine de plateau.
Eux, ils chantent et jouent, impétueux comme les vagues.
Lui avec ses jambes de danseur, virevolte de cour à jardin, s’accoude au piano, repart. Elle, dans sa robe à volants aux manches en ailes de papillon, tournoie à l’autre bout. Ils se rejoignent, rieurs, ironiques, amusés, narquois, séduits et séduisants.

Il termine, dansant en avant, en arrière, lançant sa veste en l’air, et faisant, pour finir, la roue comme à l’Acte I de Faust sur ce même plateau, ébahissant tous les écrans. Faust, c’était il y a combien d’années ? Vous le croyez, en voyant ce ténor, qu’il est grand-père ? Long, mince comme un fil, jeune, acrobate, éclatant de beauté, auprès d’une Aleksandra rayonnante qui partage avec lui l’aisance vocale et physique et le charme ?
Comme on aurait aimé passer la nuit entière avec ce couple radieux.

© Jacqueline Dauxois

(1) Des projections des spectacles passés animent l’hémicycle désert entre le passage des artistes, des chœurs (« Gloire immortelle de nos aïeux », fait penser à la voix bouleversante qui appelait « Marguerite »), cette voix on ne l’attend pas très longtemps et c’est le « Recitar » du plus beau des Pagliacci et ensuite, la projection, devant un hémicycle archi bondé d’un concert où il chante « Ô Souverain ».

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