Il y a un paradis à l’Opéra de Vienne, derrière les fauteuils d’orchestre. On entre par le fond. Un escalier central dessert les rangées où on va se serrer debout. Les nouveaux découvrent le rituel des foulards ; entortillés le long des rampes où on va s’accouder, ils signalent que les places qui semblaient libres sont prises, donc, elles le sont toutes lorsque vous arrivez, reste le dernier rang déjà très encombré, sans espoir de rien voir. Lire la suite →
Lundi, 25 juin 2018, les solistes vocalisent dans les loges. Les costumes attendent sur les portants. Deux heures avant le lever de rideau, le premier des deux Trouvère que devait chanter Roberto Alagna à l’Opéra de Paris est annulé par une grève.
Contre Dieu, tu peux peut-être lutter, parce que tu peux lutter contre l’amour. C’est dur, mais tu peux. Contre le Mal, tu ne peux pas, c’est ce qui est horrible. Roberto Alagna
En 2014, Roberto Alagna chante Otello aux Chorégies d’Orange pour la première fois. Il reprend le rôle en 2018, à l’Opéra de Vienne et, en 2019, à l’Opéra de Paris Bastille.
Lui, il répète Carmen et les trois dernières représentations d’Otello doivent être assurées, en principe, par un autre ténor et une autre soprano. Le neuvième Otello, c’est donc celui qu’il ne devait pas chanter, l’inespéré.
Douze jours après le dernier Otello de la saison à l’Opéra de Paris, Roberto Alagna devait chanter quatre Carmen. Les douze jours se sont réduits à sept lorsque la direction de l’Opéra lui a demandé de remplacer un ténor défaillant et de chanter un neuvième Otello, le 4 avril 2019. Ce qu’il a fait. Mais il a contracté une bronchite aigüe et il a dû annuler les quatre Carmen prévues du 11 au 20 avril. Mais on connaît son don José. Souvenez-vous.
Deux ans plus tôt, il a donné à Paris une série de cette Carmen, celle de Bieito.
La voix illuminée par un sourire au-delà de la joie, il enchante un opéra au sujet sinistre et fait resplendir son dernier Viva la morte insieme, Vive la mort ensemble, comme un triomphal cri de résurrection. Mort où est ta victoire ? Comment parvient-il à transfigurer l’un des épisodes les plus abominables de la Révolution française : l’assassinat, car c’en et un, du plus grand poète de son temps ? (1)
Le soir du 6 juin 2019, au Royal Opera House de Londres, Roberto Alagna chante la sixième (la septième si l’on compte la générale ouverte) représentation publique de son premierAndrea Chénier. La critique est unanime : « un Chénier d’anthologie », « un miracle », « un ténor qui illumine littéralement la scène » etc.
À ceux qui me reprochent, avec raison, d’aimer tous les spectacles, parce que je ne le publie pas quand je pars à l’entracte – et je n’ai pas de billets gratuits !
DU CHÂTELET À L’OPÉRA DE PARIS LE DON CARLOS DE ROBERTO ALAGNA
ACTE 1
Théâtre du Châtelet, le 26 février 1996. Mise en scène de Luc Bondy. Le rideau se lève sur la nuit de Fontainebleau. Du fond du plateau, seul à travers des troncs nus et givrés, dans l’éclairage irréel que crée la neige amoncelée qui continue de tomber des cintres, habillé d’une cape et de bottes écarlates, s’avance l’infant d’Espagne. Alors qu’il célèbre la beauté de la forêt, de la première étoile et rêve à sa fiancée qu’il n’a encore jamais vue, elle, perdue comme lui, portée vers lui par une Providence dont il est impossible de douter dans ce décor enchanté, soudain est devant lui, dans une longue robe, rouge aussi. Émerveillés l’un par l’autre, les fiancés royaux se découvrent en s’aimant : un mariage obligé devient un lien d’amour. Ils sont en pleine extase lorsqu’un revirement d’alliances les précipite dans le désastre : c’est l’empereur Philippe II, le père de l’infant, qui épouse Élisabeth de Valois, la fiancée de l’infant.